L’actualité spatiale est dense : péripéties du Starship de Space X, domination de Starlink, retour perturbé des astronautes de l’ISS, utilisation des Satellites d’observation pour la surveillance militaire ; elle participe des grands enjeux de prospérité et de souveraineté qu’il nous faut intégrer dans nos anticipations.
La France est la première puissance spatiale européenne, avec la création de l’ESA, d’Arianespace, d’Airbus, de Thalès, de Safran et de grands programmes comme Galileo ou Copernicus ; l’Europe compte ainsi parmi les grands acteurs malgré un budget relativement modeste (environ 14 Md€ par an). Le premier succès du lanceur européen Ariane 6 en témoigne. Si les Etats-Unis dominent avec un budget de plus de 73Md€ en 2023 (dont deux-tiers du Département de la Défense), elle est en rivalité avec la Chine, l’autre puissance spatiale, qui a posé avec succès des robots sur la Lune et Mars, et dispose d’une grande station orbitale habitée « Tiangong »
L’avenir de l’espace est d’autant plus complexe qu’il est encore très faiblement réglementé et ouvert à toutes les perspectives de conquête. Le Space Act des USA en 2015, a posé un principe non écrit de 1er présent, 1er servi …
Les convoitises sont motivées par un champ d’opportunités particulièrement diversifié. C’est un « enjeu de civilisation » osent certains spécialistes pour situer l’ampleur du défi et les deux grandes dimensions structurantes qu’il convient d’appréhender : le space to earth, (vers la terre) et le space to space (vers l’espace) ; le premier est contingent de nombreuses fonctions et applications que nous utilisons ; le second ouvre des perspectives de ressources quasi-illimitées.
La sphère numérique est au premier rang des opportunités. L’internet par satellite dont Starlink a démontré l’efficacité n’en est qu’à ses débuts. L’opérateur Starship prévoit le déploiement de 40 000 satellites et ambitionne de gérer jusqu’à 40% des flux de télécommunication, y compris ceux qui passent par les câbles sous-marins. Si aujourd’hui, la navigation et les télécommunications occupent majoritairement les constellations, tous les domaines de l’observation et de l’information vont être concernés : le changement climatique, l’urbanisme, le renseignement ou la santé ouvriront des applications spatiales. Le cloud computing n’échappera pas à un développement qui pourrait rendre le stockage et de l’accès aux données encore plus performants.
L’autre enjeu est celui des échanges physiques dont le développement suit la baisse des coûts d’accès à l’espace. Depuis toujours, l’essor des civilisations s’est appuyé sur un équilibre entre les métropoles et leur arrière-pays, entre centres de décision et infrastructures de production. Aujourd’hui, cette dynamique s’étend au-delà de la Terre : l’espace devient un nouveau territoire à organiser, où les logiques d’aménagement, de gestion des flux et de préservation environnementale doivent être pensées. L’aménagement spatial prolonge les stratégies terrestres : Où implanter les infrastructures ? Quels corridors logistiques entre la Terre, La lune et l’orbite basse ? Comment structurer l’accès aux ressources sans répéter les erreurs du passé ? Si la Lune revient en force, c’est autant pour ses réserves d’eau – présentes sous forme de glace sur la quasi-totalité de sa surface – que pour la possibilité d’en faire une base de départ vers d’autres horizons. L’eau permettrait d’assurer la vie d’une base habitée par des astronautes mais aussi d’approvisionner en hydrogène les futurs vecteurs spatiaux.
Le spatial s’apparente à une nouvelle géographie du progrès. Un écosystème gravite aujourd’hui autour de ces enjeux : structuré par les infrastructures des États, opéré par de nombreuses entreprises privées et innervé par le NewSpace, un réseau commercial d’innovation tourné vers l’espace. Ce triptyque est fondamental pour guider nos ambitions. Mais il suppose l’établissement d’une doctrine claire de la part des pays, une perspective européenne partagée et un cadre réglementaire international pour éviter que les scories terrestres dont nous payons cher les dégâts collatéraux ne trouvent dans l’espace une fuite en avant davantage qu’un progrès. Dans cette compétition mondiale pour le la France et l’Europe ont à choisir entre l’audace ou le déclin.
Par Jean-Christophe Fromantin, Anticipations, François Alter, CNES, Emmanuel de Lipkowski, Hyperion Stellar Technologies – publié dans Les Échos le 25 avril 2025