La vulnérabilité des démocraties n’est pas une fatalité …

Jean-Christophe Fromantin, Délégué général d’Anticipations, Chercheur-associé Chaire ETI, IAE Sorbonne.

Face à la montée des populismes et à une défiance croissante vis-à-vis des institutions démocratiques, la question se pose de plus en plus sur la fragilité des systèmes politiques. Quelques pistes méritent d’être explorées pour comprendre ce phénomène et anticiper des perspectives de restauration d’une démocratie authentique :

 

Une 1ère analyse des stimuli de ce glissement porte sur l’hyperpersonnalisation de masse, d’aucuns appellent « l’atomisation de l’individu » qui progressivement nous entraine vers un isolement et nous prive d’un récit commun. Ce phénomène, largement attribué aux réseaux sociaux et à l’appauvrissement d’une socialité réelle, est accentué par les biais cognitifs et culturels qui caractérisent le fonctionnement optimisé des algorithmes. On parle dorénavant d’une « anthropologie du chacun pour soi » qui nourrit des modèles économiques très performants basés sur l’hyperpersonnalisation des offres. Dans ses travaux, la Chaire Vulnérabilité(s) de l’UCLy, alerte sur « des cycles économiques qui ne sont plus l’expression d’un dysfonctionnement ayant pour origine des erreurs d’anticipation, mais l’optimisation d’un comportement optimal » (Michaël Assous, Vulnérabilité(s), 2023). En optimisant les modèles, tout en écartant la notion essentielle de vulnérabilité des constructions socio-économiques, on aboutit nécessairement à un isolement de chaque individu.

 

Une 2ème cause, qui procède de la 1ère, porte sur une forme d’ambigüité entre la notion de « se loger » et celle « d’habiter ». Un enjeu que le philosophe Bruno Latour (Où atterrir ? 2017) avait relevé en appelant notre attention sur le temps « géo-social » du XXIème siècle. Ces deux notions sont très différentes : l’une est fonctionnaliste, tandis que l’autre postule d’une culture, d’un territoire et par conséquent d’une armature de liens sociaux autour d’un héritage et d’une perspective partagés. La métropolisation qui participe de l’approche fonctionnaliste, hors-sol, voire performative du logement est une première cause de cette dangereuse confusion. Elle génère une standardisation croissante, au détriment de l’esprit « village » dont la métaphore est très souvent convoquée pour illustrer le cadre de vie préféré des individus. Cette approche questionne les échelles géographiques vers lesquelles nous devons construire les politiques d’aménagement du territoire, vers plus de proximité, d’altérité et de sens démocratique.

 

Une 3ème voie d’analyse pour comprendre l’affaiblissement des systèmes démocratiques, porte selon moi, sur ce que la philosophe Simone Weil dénonçait dans sa « Note sur la suppression générale des partis politiques » (Écrits de Londres, 1940) en postulant d’une incompatibilité structurelle entre la démocratie et les partis politiques. Elle alertait sur le fonctionnement des partis qui prospèrent sur les passions collectives : « Quand il y a passion collective dans un pays, il y a probabilité pour que n’importe quelle volonté particulière soit plus proche de da la justice et de la raison que la volonté générale, ou plutôt de ce qui en constitue la caricature » ; et par conséquent que s’installe une confusion entre la fin et les moyens. La passion collective devient un moyen, au service d’un autre moyen, qu’est le pouvoir. La notion de bien disparait du spectre collectif et par conséquent du débat démocratique. Or, les partis politiques se battent d’abord pour assurer leur propre existence, pointait la philosophe. Son analyse est particulièrement intéressante dans la période contemporaine dont la multiplicité des crises alimente à foison les passions collectives. Alors même que ces crises devraient être le socle d’une réflexion nouvelle sur le bien et sur les visions politiques qui en découlent.

 

Ces pistes, et bien d’autres, participent d’une mise en tension du périmètre d’exercice de la démocratie par rapport à celui du monde. La restauration d’une démocratie authentique, enracinée, en mesure de poser les technologies comme un moyen plutôt qu’une fin, est consubstantielle des territoires de projet. Deux principes guident cette territorialisation politique : celui de permettre à chacun d’imaginer un cadre de vie au sein duquel il puisse projeter et partager son idéal de vie ; celui par lequel nos échelles d’organisation de la vie collective laissent chaque individu en capacité d’y exercer son utilité, et par conséquent sa part de contribution à la démocratie.

 

Article publié dans l’Opinion le 28 mai 2024

Le 11 avril, Jean-Christophe Fromantin était invité à l’Université Catholique de Lyon (UCLy) pour débattre avec Georges Képénékian, ancien maire de Lyon et Marjolaine Monot-Fouletier, Enseignant-chercheur en droit public à l’UCLy sur la fragilité supposée de la démocratie et des institutions

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