Bonjour M. Fromantin, vous avez reçu le prix de l’Enracinement – Simone WEIL en 2021 de la part du think-tank “Écologie Responsable”, qui est partenaire de notre semaine sur l’écologie de droite.
En quoi la pensée de la philosophe influence-t-elle votre action au quotidien ?
Simone Weil a développé une vision très construite sur ce qu’elle nomme « Les besoins de l’âme ». Elle postule des limites d’un système politique utilitariste, voire clientéliste, prompt à répondre aux besoins matériels mais incapable d’aller au-delà. Elle vise les dérives du « pragmatisme » comme doxa politique, sans que le passé, ni l’avenir ne soient véritablement intégrés. Elle dénonce les partis politique (Note sur la suppression générale des partis politiques, La Table-ronde, 1950) en ce qu’ils participent d’une passion collective qui détourne le débat des véritables enjeux. Elle promeut une pensée dont nos racines sont le socle, en défendant une action rayonnante et non pas repliée sur elle-même. Aujourd’hui la politique prospère sur les modalités de l’action plutôt que sur le sens de l’action.
L’écologie est-elle un sujet important pour vous ?
Nous enfermons l’écologie dans une épistémologie très réductrice qui limite la nature à une ressource. C’est une erreur majeure. L’écologie authentique va bien au-delà. La nature constitue notre cadre de vie ; nous en faisons partie. C’est la raison pour laquelle j’approche l’écologie, non pas comme un seul combat au service de nos ressources énergétiques, mais comme une qualité d’environnement que nous devons pouvoir offrir à chacun pour vivre et travailler là où il le souhaite. D’où ma conviction qu’une écologie responsable passe ouvre sur une politique d’aménagement du territoire. L’écologie passe par le développement équilibré et durable de chaque parcelle de territoire. Imaginer faire de l’écologie en sanctuarisant des zones rurales et en densifiant des zones urbaines, participe d’une politique irresponsable qui prive les populations de l’accès à la nature. « La nature en ville » est la forme caricaturale et asymétrique d’une fausse promesse.
Vous êtes maire de Neuilly-sur-Seine. Comment concevez-vous une politique écologique à l’échelle d’une commune urbanisée ?
Dans l’esprit que j’évoque ci-dessus, je conçois l’écologie urbaine comme un cadre de vie. Cela passe par une maîtrise de l’urbanisme, par la qualité des espaces publics, par la vie culturelle et par une trame végétale ambitieuse. Lors de mon élection, j’avais exprimé auprès de mes équipes que je préférais « une ville dans un jardin » plutôt que « des jardins dans une ville ». Cette approche témoigne de ce que l’espace public est au cœur du projet politique.
Quels sont les moyens dont disposent les élus locaux pour mener à bien ces projets ?
Les maires ont de moins en moins de pouvoirs pour mener à bien ces projets. Ils sont tributaires d’une sédimentation de normes dont aucune n’est véritablement de leur fait. L’urbanisme est une compétence intercommunale, obéissant à de multiples obligations de conformité, tant au niveau métropolitain, que régional ou national. Il nous appartient d’être créatif, de défendre nos approches singulières auprès des autres instances et de résister aux pressions du marché immobilier pour marquer nos singularités culturelles. Je suis souvent étonné de voir des villes perdre leurs identités, et se confondre, pour avoir cédé aux « visions » faussement audacieuses d’architectes ou de promoteurs autocentrés.
Vous disposez de prérogatives en matière d’urbanisme. Quelles réflexions pouvons-nous mener sur la façon dont sont organisées nos villes afin de répondre aux modes de vie tout en prenant en compte les exigences écologiques ?
C’est dans une approche moderne de l’aménagement du territoire que se construisent des solutions pour nos villes. Je plaide pour que nous définissions une nouvelle armature territoriale en sanctuarisant un réseau de 350 villes moyennes. En veillant à ce que tous les Français soient à moins de 20’ d’une ville moyenne et que chaque ville moyenne soit à moins d’une 1h30 d’une métropole connectée au reste du monde. C’est dans un schéma de ce type que nous répondrons aux aspirations des Français à vivre dans des villes à taille humaine, en redéveloppant des services de proximité, sans nous éloigner des métropoles qui assurent l’interface avec la mondialisation. L’innovation nous offre les outils pour repenser l’aménagement du territoire, se redéployer et répondre aux aspirations légitimes des Français vers plus d’espace, de nature et de culture.
Évidemment, il y a certaines exigences d’ordre esthétique qui sont liées à la création ou la rénovation de bâtiments pour une commune. Est-il possible pour une Ville de permettre de construire écologique et beau ?
Là encore, réinterrogeons la décentralisation. Plutôt que d’édicter des normes nationales, ne pourrais-t-on pas laisser aux régions la possibilité de définir leurs propres règles dans ce domaine ? Chaque région a ses spécificités climatiques, des potentiels d’énergies durables différents, ou l’accès à des ressources particulières que nos ancêtres ont su mettre à profit pour se protéger de la chaleur ou du froid. Je crois davantage aux solutions locales et aux circuits courts qu’aux injonctions nationales. La beauté de l’architecture ne tient-elle pas à des formes, des savoir-faire ou des matériaux qui illustrent le génie, le sens de l’esthétique et la recherche d’efficacité dont notre patrimoine porte les stigmates ? Quand l’écologie répond de solutions standardisées, elle s’éloigne de ce qu’elle prétend incarner.
Vous avez récemment annoncé lancer une initiative dans le cadre des élections européennes. Est-ce que l’écologie sera un thème que vous souhaitez aborder et défendre dans le cadre de la campagne ? Pour vous, quel rôle doit jouer l’Union Européenne dans la préservation de l’environnement ?
Je me réfère beaucoup aux pères de l’Europe et en particulier au testament de Robert Schuman (Pour l’Europe, 1963). Sa conception même de l’Europe était de nature écologique. En pointant la diversité régionale de l’Europe comme une richesse, en évitant la surenchère énergétique, en alertant sur les risques de dérive bureaucratique, ou en appelant à un partenariat avec l’Afrique, l’approche de Schuman participait d’une doctrine mesurée par rapport à tout ce dont nous souffrons aujourd’hui. L’éthique même de l’écologie passe par une approche européenne car nous savons bien qu’un certain nombre d’enjeux ne trouveront des solutions durables que dans un environnement européen. Le défi de l’IA dont on mesure aujourd’hui les risques d’asservissement, est aussi un véritable sujet écologique. Car, si l’on accepte le principe d’une écologie large, alors la préservation de nos facultés cognitives et critiques doit faire partie de nos priorités
Pour vous, qu’est-ce que la droite a à apporter à l’écologie ?
Si la droite fait « comme tout le monde » en réduisant l’écologie à une proposition de mixte énergétique qui lui est propre, alors elle restera dans le débat étriqué qui marque la politique actuelle. Si la droite élargit sa vision en mettant l’écologie au cœur d’une nouvelle géographie, alors elle retrouvera sa raison d’être ; celle dont Simone Weil rappelait qu’elle n’aurait de sens qu’en redonnant à chaque Français quelque chose à aimer. Là est l’ambition écologique.