Sauvons la politique ! Du pragmatisme stérile, vers la possibilité d’un rêve …Par Jean-Christophe Fromantin, publié dans l’Opinion
Qui la droite fait-elle encore rêver ? On pourrait élargir la question en se demandant : à qui les partis donnent-ils encore envie ? À 2% de « très satisfait » dans le baromètre de la confiance (Sciences Po, 2023) – le même niveau que les réseaux sociaux –, avec un nombre de militants inférieur à 0,2% des électeurs, la politique vit une crise d’indifférence : signe inquiétant de sa disqualification face à la portée des enjeux. Elle en a connu d’autres peut-on rétorquer ! Bien sûr. Sauf que la complexité des défis à résoudre impose qu’elle soit plus que jamais forte, qu’elle inspire confiance, qu’elle porte une vision, un élan, dans une période qui appelle des choix majeurs. Nombreux sont ceux qui proposent des « réformes » d’ajustements, par centaines : Des dépenses en moins ! Des réductions d’impôts ! Des policiers en plus ! Des quotas d’immigrés ! Des prestations sous conditions ! C’est l’antienne presque monotone d’un débat médiatique teintée d’une passion subtilement indexée aux émotions de l’opinion. Mais est-ce encore de la politique – quand la promesse est à ce point réduite à des effets d’annonce, à des modalités, qui plus est de court-terme, fussent-elles audacieuses, voire sincères ? La politique n’est pas un catalogue, ni une plateforme d’idées décousues. Elle procède d’autres leviers ; elle appelle un cap, du souffle et des idéaux. Quelles utopies la droite est-elle en mesure de porter pour projeter une société nouvelle ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité que les mouvements dont la crédibilité prospère au rythme des peurs et de l’effondrement sont aux portes du pouvoir.
Bien qu’il soit difficile de qualifier « une » droite, (René Raimond, Les droites en France, 1954), nous assistons au glissement vers une approche utilitariste. Le pragmatisme est érigé en doctrine sans prendre en compte, ni anticiper, les transformations du monde. Il réduit l’action politique à des artefacts législatifs incohérents teintés de clientélisme et d’opportunisme. Nous transformons progressivement la politique en une relation « client-fournisseur » qui stimule l’individualisme et le corporatisme. La droite d’inspiration souverainiste prospère dans un pragmatisme-sécuritaire ; elle participe d’une compétition existentielle avec les mouvements dont la rhétorique ne s’encombre d’aucune nuance. L’autre droite, d’inspiration libérale, héritée de la démocrate-chrétienne, d’aucuns qualifient de centre-droit, revendique le pragmatisme-gestionnaire comme une valeur : faute d’idéal, la dépense publique est devenue son unique combat. Une « valeur », soit dit en passant, assez commode pour gérer sa carrière, passer d’un parti à l’autre, faire dissidence ou trahir ses anciens « amis », toujours au nom du pragmatisme. La philosophe Simone Weil alertait sur cette dérive : « Le temps est notre supplice, l’homme ne cherche qu’à y échapper, c’est-à-dire échapper au passé et à l’avenir, en s’enfonçant dans le présent, or ajoute-t-elle, pour construire l’avenir, il n’y a rien de plus vital que le passé » (l’Enracinement, 1943). Ces pragmatismes cantonnent le débat sur les moyens en omettant la fin. La politique en vue de quoi, interrogeait la philosophe ? Que reste-t-il du passé quand il n’est pour une droite que nostalgie, et pour l’autre qu’un compte en pertes et profits ?
C’est pourtant cette droite d’inspiration judéo-chrétienne qui offre une perspective de renouveau. Ses principes fondamentaux de liberté et de dignité sont enracinés dans l’histoire ; ils s’incarnent dans des combats menés par des hommes et des femmes dont elle peut légitimement revendiquer la filiation. C’est à nous qu’il appartient de réinterroger ces valeurs à partir d’une question essentielle : Sommes-nous en mesure de donner à chacun la possibilité de réaliser son projet de vie, librement et dignement, là où il aspire à vivre ? Cela constitue l’essence même de la politique. Tout le reste – dont beaucoup ont fait l’essentiel – est contingent. Cela semble évident, simple, incontestable. Et pourtant, nous l’avons perdu de vue. Au nom d’un pragmatisme, écologique, économique ou social cette promesse est devenue hors de portée. La densification urbaine, l’insécurité, les choix d’infrastructures, les déserts médicaux, l’appauvrissement des services publics, les difficultés croissantes à satisfaire les besoins primaires (14% des Français sont pauvres selon l’INSEE), ou l’accumulation de dettes, privent des générations entières de la possibilité d’un rêve. C’est vrai pour la France, ça l’est dans une autre mesure pour une partie du monde dont « le droit à ne pas émigrer » (Benoit XVI, 2012) prive des millions d’individus d’un avenir dans les territoires au sein desquels ils aspirent à vivre. On crée des logements, mais le projet « d’habiter » au sens profond du mot n’est plus constitutif ni d’une éthique, ni d’une promesse politique. Or, contrarier les rêves les plus légitimes neutralise deux leviers : celui de l’épanouissement personnel ; celui du projet collectif dont la prospérité est directement corrélé à la sérénité et au bonheur de chacun. Notre pessimisme, parmi les plus forts au monde, un sentiment profond de déclassement, une natalité en baisse, une défiance qui traverse toutes les catégories de population, participent d’une résignation dangereuse et par conséquent d’un risque grave pour la démocratie. Le pragmatisme en tant que doctrine est largement responsable de ce délitement. Il s’arme de précautions, s’exonère de responsabilités ; il engendre un monde plat, standardisé, normé, métropolisé, dont les cultures sont toisées par des directives, des règlements ou des schémas, tous répondants du pragmatisme. La cancel-culture prospère sur ce terreau aseptisé qui efface petit à petit les reliefs et les singularités du monde.
Et pourtant, cette aspiration des Français à réaliser leur projet de vie est une chance dont nous devons extraire une vision pour en orchestrer les grandes politiques publiques. Car, si notre histoire inspire nos valeurs, notre géographie inspire nos projets : plus de 80% des Français rêvent de vivre dans un village ou une ville moyenne (IFOP, 2023). Cette appétence pour les territoires participe d’un formidable sentiment d’appartenance ; c’est une ouverture au bien commun, en ce qu’il est à la fois l’héritage et le socle de nos projets. Car chaque territoire porte les stigmates d’une histoire, d’une géographie, de savoir-faire et de ressources dont il nous appartient d’en faire nos terreaux fertiles et un projet d’avenir. De ce signal et de cette espérance, nous devons amorcer un renouveau politique et susciter une dynamique de mobilisation. Avec trois axes : la mise en place d’un ambitieux programme de revalorisation et d’aménagement des territoires pour refertiliser la France, ses cultures, son patrimoine, son capital productif et permettre à chacun de vivre et prospérer là où il le souhaite ; la réaffirmation du principe politique de subsidiarité pour redistribuer les compétences aux échelles locales, régionales, nationales ou européennes, là où elles sont le plus efficaces et légitimes, là où elles s’adaptent le mieux à l’évolution des enjeux, là où elles réveillent la confiance, stimulent la réconciliation et font vivre la démocratie ; l’orientation de l’innovation vers le développement et le rayonnement de chaque territoire, jusqu’au plus petit de nos villages, pour convertir les technologies en progrès, pour qu’elles soient un moyen plutôt qu’une fin, pour réitérer ce que l’industrie a été : un formidable levier de prospérité dont la France a su tirer une part de son récit.
« Donner aux Français quelque chose à aimer et leur donner d’abord à aimer la France » disait Simone Weil au Général de Gaulle, quand il lui demandait à Londres, en 1941, au plus profond du désespoir, à l’acmé des crises, comment renaître de la guerre. La réponse est aujourd’hui la même, car la France porte en germe ce potentiel d’émerveillement qui donne à chacun les moyens d’espérer, de rêver, et ensemble, la force d’y croire.