Se plaçant en faux contre l’essor d’une « métropolarisation », Jean-Christophe Fromantin, maire de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), appelle l’État à ouvrir le débat sur l’avenir des métropoles. Opposé au Scot métropolitain voté le 13 juillet, qui « va trop loin », Jean-Christophe Fromantin doute non seulement de l’efficacité de la sédimentation du Sdrif-e, du Scot et des effets collatéraux du PLU bioclimatique de Paris, mais aussi de leur articulation avec les plans locaux d’urbanisme intercommunaux et des injonctions de l’État qui se multiplient.
- Vous doutez de la capacité des documents d’urbanisme de la région et de la métropole du Grand Paris à être appliqués, pour quelles raisons ?
Je suis extrêmement sceptique sur l’efficacité qui résulte de l’empilement de tous ces outils normatifs qui s’enchainent et s’encastrent (chacun pose sa plaque sédimentaire) sans réelle vision stratégique ni anticipations socio-économiques. Nos villes doivent en effet composer avec leurs intercommunalités, et la métropole du Grand Paris, qui n’ont pas été désirées dans le périmètre imposé, avec un acteur fort qui est Paris dont chaque action (PLUi, périphérique…) a une conséquence sur nos communes ; se plier au Scot métropolitain (Schéma de cohérence territorial), au Sdrif-e (Schéma de développement régional de l’Ile-de-France environnemental), aux nombreuses injonctions normatives de l’État, et le faire dans un cadre contraint d’une perspective de loi de finances dont le pacte de stabilité, risque de détériorer encore l’environnement financier des communes, alors qu’elles disposent de très peu de leviers d’indépendance et d’autonomie. Je n’ai jamais vu une équation aussi compliquée. Nous sommes sur une mauvaise route.
- Pourquoi avez-vous voté contre le Scot métropolitain le 13 juillet ?
Parce qu’il va trop loin et sort de son rôle, puisqu’il est trop prescriptif jusqu’à sectoriser le nombre de logements par quartier, alors qu’il ne devrait pas l’être s’agissant d’un document d’orientation. De plus, cette volonté de cohérence métropolitaine est très contrariée par la cohabitation de deux entités : la Région et la MGP, et à l’intérieur de la métropole d’un acteur majeur qui est Paris qui joue assez solo par rapport aux deux autres. Pourquoi par exemple construire demain des dizaines de milliers de logements comme le Sdrif-e et le Scot le demandent en densifiant, alors que l’écart de chaleur à climat égal entre les zones denses et celles à faible densité atteint 4°C le jour et 10 à 12°C la nuit, que les Français demandent de l’espace et que les perspectives économiques n’appellent pas une telle densification ?
- En quoi le PLU bioclimatique de Paris impacte votre commune ?
Paris est légitime à faire son PLU bioclimatique, pour autant, le poids qu’il représente dans la métropole le rend incontournable et s’impose de fait aux autres communes. C’est comme si nous avions trois acteurs : Paris avec son PLU bioclimatique, car compte tenu de l’influence que représente la capitale, ce qui sera refusé dans Paris se fera à l’extérieur ; la MGP avec le Scot qui est très prescriptif et la Région avec le Sdrif-e et ses orientations. Tout cela entame d’autant les marges de manœuvre pour nos communes ; qui elles-mêmes sont contraintes dans un PLUi (plan local d’urbanisme intercommunal) qu’elles doivent réaliser avec d’autres communes avec lesquelles elles ont été mariées de force. Quelles libertés nous restent-ils ?
- Le Sdrif-e et le Scot ne seront-ils pas des avancées ?
Pas pour nos communes si on considère qu’elles sont encore nécessaires. Quelles libertés avons-nous entre des normes de plus en plus dures de l’Etat, un PLUi, un Scot et un Sdrif-e ? Tous ces documents normatifs dit de cohérence réduisent nos marges de manœuvre et comme nous avons besoin de faire preuve de créativité pour contourner l’absence de moyens financiers, nous nous retrouvons dans un étau de plus en plus difficile à gérer. Ensuite, ils sont tous pleins de bonnes intentions et contiennent des règles très à la mode, mais de quels moyens disposons-nous pour les déployer ? Et quelle cohérence avec un aménagement du territoire dont l’État est responsable.
- Comment va s’inscrire le PLUi de Paris Ouest La Défense dans ce schéma ?
Paris Ouest La Défense démarre son PLUi, nous définissons les grandes orientations. Mais il est difficile à ce stade de savoir comment tout cela fonctionnera harmonieusement. Les PLUi ne sont pas une somme de PLU. L’État aura aussi son mot à dire. L’avenir nous dira quelle liberté ils laisseront aux maires.
- Vous remettez en cause le développement métropolitain, il semble pourtant inexorable non ?
Les métropoles seront des carrefours particulièrement stratégiques dans la mondialisation. Mais cela ne veut pas dire qu’elles seront des espaces d’hyper-concentrations démographiques. Au contraire. Leur intensité prime sur leur densité. Cette perspective d’y habiter n’attire plus les Français, ils sont moins de 20% à citer les métropoles comme un choix de vie. C’est une vision datée. Et le constat est le même à travers le monde. Il touche majoritairement ls jeunes générations. C’est pourquoi il est urgent que l’État ouvre le débat de l’aménagement du territoire et permette ainsi de mettre en cohérence une armature nationale plus équilibrée et des objectifs mieux coordonnées. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Et son silence risque d’avoir des conséquences dramatiques. C’est un enjeu social, c’est une condition essentielle pour un développement économique durable, c’est également la clé de voute d’une approche énergétique et écologique moderne. Nous en sommes loin aujourd’hui, le caractère erratique des politiques publiques en témoigne.
- La métropole du Grand Paris n’a-t-elle pas un rôle spécifique à jouer par rapport aux autres métropoles françaises ?
C’est le même débat pour tout le monde. Certes, il y a des problèmes et des enjeux particuliers à la MGP dans une construction politique de base. L’idée d’avoir un réseau de métropoles qui soient des connecteurs du pays au reste du monde et qui aient des fonctions référentielles (académiques, politiques, etc.), est un vrai sujet qui appartient à toutes les métropoles. C’est « l’intensité » que j’évoque dans la question précédente qui doit retenir nos approches stratégiques. Car je suis convaincu que fort d’une vision plus équilibrée du peuplement, du système économique et de l’aménagement du territoire on neutralisera un certain nombre de difficultés notamment sur le logement dont les tensions sont provoquées d’abord par les asymétries accumulées de notre développement territorial.
- Il en incombe selon vous à l’État, pourquoi ?
Nous sommes orphelins aujourd’hui d’une réponse de l’État sur la manière dont il conçoit l’aménagement du territoire au 21e siècle. Le fait d’avoir rabattu sur des villes de plus en plus grandes des populations à cause de la fermeture des services publics pour réaliser des économies d’échelle, a créé petit à petit des tensions qui n’avaient pas lieu d’être. Toutes les tensions résultent d’un système qui a fonctionné de façon hasardeuse, et désordonnée depuis 20 ans face à toute une série de nouveaux enjeux que nous n’avons pas anticipés, ni gérés et qui aboutit à des situations telles que celles qu’on connait aujourd’hui. On arrive à la fin d’un cycle dont les réglages court-termistes montrent leurs limites.
- Que doit faire l’État ?
L’État a une fonction stratégique et d’aménagement du territoire dans un souci d’équilibre et d’aspirations des Français. Je l’interpelle sur la façon dont il voit l’équilibre de l’aménagement du territoire en France compte-tenu 1) d’aspirations sociales et sociétales de mieux en mieux exprimées, 2) d’enjeux économiques et écologiques majeurs et 3) de recherche d’efficacité des politiques publiques devenues de plus en plus compliquées au regard de l’accumulation de dette et des difficultés financières. D’ailleurs la note de la Cour des comptes sur la contribution des collectivités (dans le cadre de la revue des dépenses publiques) est interpellante et inquiétante dans ce qu’elle pourrait entrainer les collectivités locales dans la spirale déficitaire de l’État.
- Que dit-elle ?
Elle remet en cause les 158 milliards d’euros transférés aux collectivités locales qu’elle voudrait encadrer. Elle voudrait revoir les compensations de la suppression de la taxe d’habitation et de la CVAE (Cotisation sur la valeur ajoutée) en critérisant les transferts de l’État. Il est question également d’une remise en cause du FCTVA avec un remboursement des dépenses qui correspondent aux politiques publiques et à la transition énergétique. Enfin il est prévu un renforcement des fonds de péréquation. Finalement, ces préconisations reviendraient à priver les collectivités territoriales de leurs ressources pour pallier les déficits chroniques de l’État. L’issue est simple : cela reviendra à détériorer nos capacités d’investissements pour compenser les déficits de fonctionnement de l’État. L’inverse de ce dont nous avons besoin …
Propos recueillis par Fabienne Proux