Invité politique du Point

Il est l’un des élus… les mieux élus de France ! Avec 60 % des voix, dès le premier tour des dernières municipales, pour un troisième mandat. Et, dans la foulée, près de 77 % des suffrages, au premier tour des départementales en 2021 – le seul à être victorieux à ce scrutin-là en Île-de-France.

Indépendant, iconoclaste, le maire de Neuilly-sur-Seine, et vice-président du département des Hauts-de-Seine, Jean-Christophe Fromantin, un ancien chef d’entreprise qui avait conquis en 2008 à la surprise générale ce bastion de la sarkozie, creuse son sillon en marge des partis politiques. Pragmatique et créatif, l’homme développe depuis de nombreuses années une réflexion sur une nouvelle organisation territoriale adaptée aux modes de vie en plein bouleversement. Jean-Christophe Fromantin est l’invité de l’entretien politique du Point.

 

Le Point : Les actes de violences à l’encontre de Yannick Morez, le maire de Saint-Brévin-les-Pins l’ont poussé à la démission. L’affaire provoque une large émotion. Beaucoup de maires en ont ras-le-bol. Exercer un mandat local est-il devenu dangereux ? 

 

Jean-Christophe Fromantin : De plus en plus compliqué, en tout cas. L’action du maire est au cœur d’une nébuleuse institutionnelle à la fois confuse et lourde qui dilue sa capacité d’action, alors que les problèmes à résoudre sont eux bien présents. La complexité de notre système consume à feu doux les énergies jusqu’à provoquer des centaines de démissions ; en parallèle nos communes sont progressivement privées de ressources. Nous devenons les paratonnerres de multiples contestations puisque nous sommes les seuls élus à portée de main. Il y a une paupérisation des services publics, et les citoyens nous le reprochent, alors que bien souvent nous n’y sommes pour rien. L’État lance des projets dont nous sommes une des courroies de transmission sans qu’il aille jusqu’au bout. Nous ne pouvons pas être les variables d’ajustement d’un État impécunieux. Ses représentants sont souvent aux côtés des maires pour les inaugurations, mais trop rarement lorsqu’un problème surgit. Avant de créer les maisons France services, le gouvernement aurait dû réinterroger les moyens nécessaires à l’exercice de nos services publics.

 

Vous est-il arrivé de vouloir jeter l’éponge ?

 

Quand on ouvre le parapheur, et qu’on trouve vingt lettres d’insultes et de reproches, ou que sur les réseaux sociaux les gens se déchaînent contre vous, oui, il peut y avoir des moments de doute. C’est quelque chose que l’on partage beaucoup avec les collègues. L’autre jour, dans la rue, un riverain me reprochait d’avoir engagé un chantier de travaux publics transformant le quartier, et il m’a traité de criminel !  Les mots dérapent. Je porte plainte, mais la justice lui donne raison, au prétexte de la liberté d’expression. Heureusement, d’autres savent reconnaitre la qualité des actions que nous menons et notre disponibilité. Ça encourage.

 

Sentez-vous une dégradation dans les relations avec les administrés ?

 

La crise sanitaire, comme les dérives climatiques ont probablement amplifié les angoisses et les questions sur l’avenir. Beaucoup de réponses ont été données sur les perspectives de court terme mais peu sur celles de long terme. Or, c’est aussi sur ce terrain des grands projets sur la durée que nous devons agir pour adapter notre société à un contexte qui évolue en profondeur. Cet écart entre les enjeux et les solutions de long terme provoque me semble-t-il la défiance qui prospère depuis plus de dix ans dans la société. Nous en vivons quotidiennement les effets. La violence est aussi le reflet d’une forme de peur et de refus du fatalisme.

 

Le maire de Saint-Brévin-les-Pins a parlé de l’impuissance publique. Les élus de proximité se sentent-ils abandonnés par l’État ?

 

L’État fait de grandes annonces, du style, on va créer 10 000 places de crèche, accueillir des migrants, déployer plus de policiers sur le terrain… Et après, légitimement, tout le monde vient nous voir pour demander des comptes alors que nous n’y sommes souvent pour rien.  « Vous avez prévu des places de crèche, mais où est la mienne ? J’ai été cambriolé, et ils sont où vos policiers ? Il faut deux mois pour obtenir un rendez-vous pour un passeport alors qu’on vient d’annoncer des moyens nouveaux à votre disposition ! » L’onde de propagation des annonces nationales s’invite immédiatement dans le dialogue que nous avons avec la population. Pendant le Covid, quand le gouvernement a annoncé la vaccination, moins de 24h00 après nous avions reçu 70 000 appels en mairie. En 2008, quand j’ai commencé mon mandat, la ville recevait 7 à 8 millions d’euros de Dotations globales de fonctionnement (DGF). Aujourd’hui, c’est zéro. Et, en vertu du système de péréquation, nous sommes prélevés chaque année de près 12 millions d’euros sur un budget de fonctionnement de 100 millions. En 15 ans l’État nous a privé de plus de 20 millions de recettes. Sur le même période, les effectifs de la police nationale ont diminué de moitié, passant de 150 à 70 policiers, je dois compenser en recrutant 60 policiers municipaux, soit un budget de 5 millions d’euros par an. La sécurité sociale a fermé ses deux guichets et les co-financements diminuent de jour en jour. Et maintenant, l’État annonce qu’il ne va pas augmenter les impôts, sans préciser qu’il transfert au niveau des communes de nouvelles charges. Alors bon courage, débrouillez-vous avec ça ! Dans une commune comme la mienne, on peut encore dégager des économies. Mais ailleurs, dans la moitié des villes des Hauts-de-Seine par exemple, les maires sont obligés d’augmenter les taxes foncières. En fait, l’État se défausse sur nous, il nous refile les patates chaudes.

 

Que faudrait-il faire ?

 

Nous devrions bâtir un nouveau contrat de confiance avec l’État, en partageant nos analyses, en imaginant ensemble des solutions, en contractualisant davantage sur les moyens nécessaires à court, moyen et long terme. Tout le monde y gagnerait. On doit mieux se parler et travailler l’avenir ensemble. Le Président de la République a annoncé une initiative en matière de décentralisation. C’est une opportunité à saisir pour faire des propositions.

 

Beaucoup de politiques, de gauche ou de droite – Laurent Wauquiez récemment dans Le Point – plaident pour une nouvelle décentralisation. Vous qui faites des propositions concrètes sur le sujet depuis des années, qu’en pensez-vous ? 

 

Ce n’est pas si simple ; la décentralisation ouvre une analyse des compétences et des responsabilités ! Il y a des politiques qui méritent d’être mieux centralisées, d’autres doivent être menées à l’échelle européenne, et d’autres de façon plus territoriale. La décentralisation n’est qu’une partie du sujet. Par exemple, la politique énergétique doit être décentralisée mais aussi européanisée. On fera accepter des éoliennes ou des méthaniseurs pour autant qu’ils bénéficient aux territoires, pas pour que ces flux d’énergie durable alimentent d’autres territoires. Mais il y a aussi une dimension européenne, puisque la négociation sur les approvisionnements en énergie s’opère dans un rapport de force au niveau des grands blocs. Des politiques sociales, économiques, d’infrastructures, pour l’environnement peuvent être largement décentralisées. La santé aussi : je pense que les Agences régionales de santé (ARS) devraient être gérées par les Régions. Mais une politique d’aménagement du territoire a besoin d’une armature nationale. C’est cette vision stratégique qui manque. Subventionner une ville moyenne et lui retirer sa maternité est un cas de figure trop fréquent. Je suis pour que l’on passe en revue les grands enjeux socio-économiques et qu’on redéfinisse les échelles d’efficacité. Nous sommes encore sur des schémas d’organisation qui ont été arrêtés au XIXe siècle ou après la seconde guerre mondiale, et qui ne sont plus adaptés au XXIe siècle. Il faut réfléchir aux enjeux, avant de poser le cadre des solutions. Le métabolisme territorial est toujours très mouvant, jamais figé, très dynamique. Au Moyen-Âge, dans les villes, les citoyens devaient être à portée de voix pour recevoir l’information, ou à portée de carillons dans les campagnes. Aujourd’hui la société d’information immédiate revisite les échelles de distance et de temps.

 

Vous réfléchissez depuis longtemps sur cette nouvelle organisation territoriale, notamment aujourd’hui avec cette thèse que vous préparez sous la direction de l’urbaniste Carlo Moreno. Quel est votre axe de réflexion ?

 

Les villes se sont construites sur des fonctions d’intermédiation. Ce furent les foires, puis les bourses d’échanges qui ont façonné les villes, et aujourd’hui ce sont les quartiers d’affaires qui justifient les métropoles. Or aujourd’hui, les échanges marchands et financiers sont de moins en moins cristallisés sur un espace, puisque tout devient dématérialisé. Quelle sera par conséquent la géographie du XXIe siècle ? La question pour moi est celle-ci : l’urbanité sera-t-elle toujours indexée à la ville ? Ne peut-on pas avoir un mode de vie urbain en vivant en dehors des grandes villes ? Consulter une grande bibliothèque, assister à un Opéra, obtenir le diagnostic d’un médecin, tenir une réunion, acheter un produit, tout cela désormais, on peut le faire à distance. Cela pose des questions énormes en matière de décentralisation. Or, nous avons encore une approche très traditionnelle de ces sujets à partir des structures existantes. Je préfère parler de reterritorialisation. C’est le véritable enjeu.

 

De quelle manière ?

 

Force est de constater que l’on travaille de moins en moins de façon rémunérée et de plus en plus de façon non rémunérée. On donne du temps à sa famille, on bricole, on aide une association, et on consomme de plus en plus. En 1840, les Français passaient 40 % du temps de leur existence à travailler ; aujourd’hui, c’est 12 % ; et en 2040, ce sera entre 8 et 10 %. Les études montrent que la généralisation des robots sur le tertiaire va remettre en cause 40 % des emplois. Nous sommes donc face à une véritable révolution. Comment les politiques publiques vont anticiper cette évolution ? Si nos enfants travaillent moins de 10 % de leur temps, ça change tout. La possibilité de choisir son projet de vie va être centrale. Plutôt que d’être obligé de vivre là où il y a du travail, nous pourrons de plus en plus « Travailler où nous voulons vivre » – c’était le titre de mon dernier livre. L’urgence est à une réflexion de fond à partir d’une question centrale : comment organiser cette nouvelle société ? Aujourd’hui, c’est le capital qui décide de tout. Trop de pays ont une dette qui obère l’avenir. Pendant que nous faisions du « quoiqu’ il en coûte », les États-Unis lançaient un grand plan d’infrastructures.

 

Au début de son mandat, vous qualifiez Emmanuel Macron de syndic de faillite. Quel est votre jugement aujourd’hui ?

 

Le syndic, c’est celui qui vient gérer la fin d’un cycle et laisse au suivant la gestion du nouveau. C’est ce qu’on a fait avec la réforme des retraites. Le débat public – et tous les partis politiques sont concernés – est devenu une confrontation entre syndics de faillite, au détriment d’un débat sur l’avenir. On n’y parle que d’ajustements paramétriques. Personne ne met sur la table, une nouvelle organisation, un nouveau modèle. On ne parle que des modalités, jamais du sens. La réforme des retraites était nécessaire à court et moyen termes, mais elle prolonge un modèle du XXe siècle, donc un logiciel obsolète. Avant de débattre sur les retraites, nous aurions pu lancer une grande réflexion sur le travail, en intégrant le fait que l’innovation diminue constamment notre temps de travail rémunéré, nous aurions alors découvert les lignes forces d’une nouvelle société dont les équilibres changent profondément.

 

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