Dans une grande interview au Figaro-magazine le 31 mars dernier, Michel Onfray dresse un portrait angoissant de la France. Son constat est pourtant juste, mais sa mise en perspective m’interroge. Quand le philosophe se résigne à penser qu’aucune éthique, ni politique ne pourrait contrecarrer l’avachissement civilisationnel actuel, je reste sans voix. Cela revient à contester le cœur même de ce qu’il défend quand il convoque le peuple de France et son histoire comme témoins de nos valeurs. Cette France qui a traversé tant d’épreuves sans céder au fatalisme n’est pas celle que projette le philosophe. La France est une inspiration avant d’être une nation disait Simone Weil en 1942 à Londres. Elle est aussi l’objet d’une compassion dès lors qu’elle s’égare. Jeanne d’Arc disait avoir pitié pour le Royaume de France. Il manque à Michel Onfray, l’espérance. Au modèle de la méduse qu’il cite pour dénoncer l’insipidité du monde, je préfère l’image du polyèdre développé par le Pape François pour illustrer les richesses de la diversité du monde.
La réification du monde est certes un processus contre nature et mortifère, mais la foi, comme la transcendance, démontrent s’il en est besoin, que les civilisations portent en germe une dynamique d’espérance. Je suis convaincu que cette critique de la civilisation, répétée à l’envie, est terriblement biaisée ; en ce qu’elle oublie les ressorts de l’âme humaine. Cette dimension dont Simone Weil pensait opportunément, que seule, l’idée de la satisfaire méritait un débat de fond. Ce souffle, dont nous perdons à la fois le rythme et le sens, jusqu’à penser qu’il n’appartient qu’à l’histoire. Notre débat politique est si pauvre et ennuyeux : écartelé entre la critique des intellectuels et une action qui s’épuise dans des séries d’ajustements paramétriques. Les taux, les pourcentages et les chiffres ne procèdent pourtant d’aucune grandeur.
La conversation publique est saturée d’angoisses et de faux espoirs. Je ne veux pas m’y résoudre. Si je suis engagé en politique c’est bien parce que je crois à l’émerveillement et à la vérité ; en cette espérance qu’inspirent toujours les valeurs de liberté, d’audace et de d’altérité ; si je suis indépendant des partis, c’est parce que, faute de souffle, ils nous enferment dans des passions collectives, et promeuvent d’abord des communautés d’intérêt : la servitude volontaire est à l’œuvre dès lors les idéaux passent. Les innovations que dénoncent Michel Onfray ne sont pas un mal en soi ; elles le deviennent quand la politique s’efface. « Malheureux que nous sommes qui avons confondu la fabrication d’un piano avec la composition d’une sonate » rappelait si justement la philosophe Simone Weil.
La politique en vue de quoi ? Du pouvoir ? Car ce sont bien les passions collectives, attisées par ceux qui en font le commerce, qui détruisent progressivement ce que nos valeurs portent ; au risque de nous entrainer vers des dérives totalitaires. Là est le risque du progrès ; il s’émancipe et nous échappe dès lors que nous le voyons comme une fin et non comme un moyen.
Levons la tête de nos écrans, observons la richesse de nos paysages, de nos villages ou de nos patrimoines et nous retrouverons du sens ; partageons la fierté d’appartenir à une terre dont l’histoire et la géographie façonnent les cultures et nous retrouverons une ambition. Quand près de 80% des Français convoquent le village comme l’incarnation réelle ou métaphorique de ce qu’ils aspirent à vivre, alors je reprends espoir. Car l’état d’équilibre que porte une telle aspiration est le socle d’un souffle vrai. Là s’ouvre un chemin d’espérance. Là s’ouvre une perspective authentiquement politique …
Bonsoir Monsieur Fromentin,
J’imagine autant le « désespoir » de Michel Onfray, que je comprends la croyance en l’homme qui est vôtre.
Je navigue entre les deux points de vue uniquement parce je pense que nous aurons du mal à être maîtres de notre destin face à ce qui attend notre civilisation.
Ce qu’amène Michel Onfeay est, à mon sens, plus un constat qu’un désespoir, le second découlant du premier.
Ce qui vous différencie profondément réside dans votre foi et votre croyance, à priori « territoire inconnu » chez le philosophe.
Pour conclure mon modeste point de vue,, je voudrais rapporter la démission de chez Google, apprise aujourd’hui, du scientifique American canadien à l’origine de la création de l’IA, au motif que les entreprises de NT en font quelque chose à l’opposé de ce que à quoi il aspirait.
Cela pose questionnement, quand même.
Bien à vous,
Joël Dahan