Alors que la France va passer le cap des 150 milliards de déficit commercial, arrêtons-nous sur la signification politique de ce seuil critique. Si le suivi des performances de notre commerce extérieur est le plus souvent l’apanage des économistes ou de ceux d’entre nous intéressés par l’économie du pays, il mérite un écho plus large. Car l’agrégat du commerce extérieur, au-delà de son acception économique, témoigne de trois repères structurants pour orienter une politique à la fois moderne et ambitieuse pour la France.
Le premier repère touche à l’efficacité de nos politiques publiques. La part des dépenses publiques dans le PIB de la France – qui frôle les 60% – impacte inévitablement la compétitivité de notre offre. Les niveaux de fiscalité et les prélèvements obligatoires, parmi les plus forts au monde, obèrent d’autant les marges de nos entreprises, et par conséquence directe, leurs niveaux de fonds propres, leurs capacités d’investissement et leur potentiel d’innovation. Et notre avenir … L’administration de la France, telle qu’elle est pratiquée, dégrade nos leviers d’exportation. La diminution constante de nos parts de marché en est la preuve ; elles sont passés de 16 à 10% en zone Euro, entre 2016 et aujourd’hui, alors même que nos partenaires vivent les mêmes aléas monétaires ou énergétiques. Améliorer notre commerce extérieur passe par une réforme drastique de nos politiques publiques et d’une gouvernance tournée vers l’efficacité et la réduction des dépenses.
Le second repère concerne nos avantages comparatifs. L’analyse fine de notre déficit commercial montre une surexposition de nos exportations sur des secteurs industriels faiblement différenciants. Cela présente un risque majeur dans la mesure où des pays comme la Chine ou les Etats-Unis ont des capacités d’investissement et de formation de ressources humaines hautement qualifiées très supérieures aux nôtres. Loin de moi l’idée de se désengager des industries de pointe, mais ces secteurs à haute valeur ajoutée ne doivent pas prospérer au détriment de ceux qui incarnent très singulièrement les avantages comparatifs de la France. Ces savoir-faire sur lesquels nous sommes inégalables et dont l’innovation offre un second souffle ; ils présentent un potentiel de développement indexé à la croissance des classes moyennes dans le monde. Le luxe ou l’agroalimentaire témoignent de performances exceptionnelles qui doivent nous alerter sur l’importance stratégique d’une ambition en matière culturelle et territoriale ; c’est au cœur même de notre diversité géographique que prospèrent nos avantages comparatifs et nos exportations.
Le troisième repère est social. Une perspective politique inclusive appelle l’utilité et la contribution de chacun. Or, fonder un projet de développement sur le seul prisme d’une économie à haute intensité technologique, exclut de fait une grande part de la population et tous les territoires non métropolitains. Le rayonnement de la France – si bien illustré par son patrimoine et son potentiel touristique – appelle justement de retrouver un sentiment d’appartenance. Notre pays existe autant par son avenir que par son histoire ; par ses traditions autant que par ses innovations ; par ses métropoles autant que par ses villages et villes moyennes. Les uns ne sont pas antagonistes des autres. Bien au contraire. Les performances économiques et les progrès sociaux issus de la révolution industrielle sont nés de la rencontre entre nos savoir-faire authentique et la mécanique. C’est la même synthèse que nous devons stimuler entre nos territoires et l’innovation. C’est par cette alchimie que des salaisonniers sont devenus des industriels de l’agro-alimentaire ou que des artisans d’art sont devenus de grands acteurs du luxe. Pour exporter ne confondons pas la fin et les moyens.
Depuis près de 40 ans, notre commerce extérieur se dégrade. Ce n’est pas une fatalité. Pour autant que nous considérions chaque Français et chaque territoire comme autant d’atouts pour relancer notre développement. « Un système social est profondément malade quand un paysan travaille la terre avec la pensée que, s’il est paysan, c’est parce qu’il n’était pas assez intelligent pour devenir instituteur. » rappelait Simone Weil (L’Enracinement 1942). Nos performances commerciales témoignent avant tout de l’ambition que nous avons pour les initiatives qui naissent de notre patrimoine et pour nos talents. Elles doivent redevenir un motif de fierté nationale. Il n’y a pas que la coupe du monde …