La crise que nous traversons provoque un questionnement profond sur la mondialisation. Qui ne doute pas ? De ses effets, de ses dérives ou de ses risques. Aux quatre coins du monde, s’ouvre le procès du monde globalisé. Les chefs d’accusation se multiplient : de la paupérisation relative des classes moyennes du monde occidental à l’explosion des flux migratoires, du réchauffement climatique à la financiarisation de l’économie ou plus récemment la pandémie mondiale avec son terrible bilan humain. Les tensions politiques et géopolitiques s’en nourrissent. Les crises identitaires abondent les populismes, les nationalismes et autres relents autoritaristes. Les États se réarment avec des mesures protectionnistes. Les oppositions gagnent du terrain partout dans le monde. Le dessein multilatéraliste peine à défendre ses principes régulateurs. Malgré l’émergence d’une classe moyenne, estimée aujourd’hui à plus de trois milliards d’individus, – devenue pourtant le moteur de la croissance – ; bien que l’accès aux soins et à l’éducation caractérise l’émergence d’une économie nouvelle. L’accusateur est en passe de gagner une manche. Structurellement. Laissant les opinions se convaincre d’une mondialisation inégalitaire, aux formes asymétriques, aux effets délétères sur l’avenir du monde.
A certains égards, les accusations sont fondées. Pour autant, le monde durable auquel chacun aspire n’a pas d’autres issues que de s’incarner dans un système économique à la fois global et équitable. Certes, l’accélération des échanges, comme les disruptions technologiques, méritent d’être corrigées par des règles communes. Mais le bilan ne justifie pas la mise au pilori de quelques décennies d’expansion économique. Il appelle en revanche une réflexion profonde sur nos valeurs centrales. Quelques critères stabilisateurs, animés par des principes universels d’équilibres social et environnemental, permettraient de poser les bases d’un capitalisme responsable. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Paradoxalement ; car notre développement se fonde en grande partie sur l’interdépendance des économies, sur la diversité des talents et sur la complémentarité de nos atouts.
Aussi, progressivement – fort de la défiance qui s’enkyste sur chaque continent – un système d’isolats s’installe. Il prend la forme d’un archipel. Les USA et la Chine en sont les acteurs majeurs. Les autres subissent les injonctions hégémoniques ou financières d’économies débridées. Les opinions interpellent les dirigeants sur leur capacité à construire des digues. Ils pointent l’ennemi : la mondialisation et son cortège d’excès. Comme un fait acquis, presque inéluctable, qu’il faut dorénavant intégrer comme un risque majeur. Dont acte.
Cependant, chaque crise appelle un travail d’introspection. Nos forces et nos faiblesses sont interrogées à l’aune de ce que nous ressentons, de ce que nous vivons. C’est vrai pour une famille, pour une entreprise comme pour une nation. Pour l’Europe aussi. L’exercice est souvent salutaire. Il est nécessaire. Il l’est, à condition de le réaliser en cohérence avec les valeurs et les cultures qui fondent notre existence. L’Asie, les États-Unis, l’Afrique ou l’Europe ne procèdent pas d’une même histoire, ni des mêmes enjeux. Aucune région du monde n’est fongible dans un monde aseptisé. Aucune économie n’a d’avenir dans un mouvement d’uniformisation. Romano Guardini, à propos de la technique mettait en garde sur les risques de standardisation dont la finalité « n’est ni l’utilité, ni le bien-être mais la domination extrême ». Sans doute faut-il voir dans ce « monde archipel » un moment clé. Celui grâce auquel – dans un cycle inévitable de mondialisation – nous réinterrogeons notre « raison d’être » mais aussi nos singularités et nos fragilités. Sans renoncer à l’altérité qui fonde le principe d’enrichissement mutuel. Sans crainte. Sans naïveté non plus.
Le défi est ambitieux. Il consiste à s’extraire du court terme et calmer la tempête pour déterminer nos propres modalités d’insertion dans le monde global. C’est à cette aune qu’il nous appartient d’arrêter des critères. Avec cette double culture, profondément ancrée, de respect de l’être humain et de conscience d’un bien commun universel. Fort des leviers du capitalisme, comme substrat nécessaire à l’investissement et à l’innovation ; fort d’un principe de responsabilité, pour assurer la pérennité des ressources, la sécurité de notre économie et la sérénité des générations à venir. Cela pourrait passer par trois vecteurs : la taxe carbone aux frontières comme mécanisme régulateur, garant des exigences sociales et environnementales ; la maitrise des dépenses publiques pour assurer un niveau de compétitivité en phase avec les contingences d’une économie concurrentielle ; un marché financier animé des mêmes principes de responsabilité pour redonner à l’épargne un sens, en ligne avec les objectifs de protection et d’anticipation qui justifient sa formation.
La mondialisation est une réalité en forte évolution. Probablement irréversible. Il nous appartient d’en faire une espérance. Elle ne le sera qu’à condition qu’il n’y ait plus de doutes, de la part d’aucune nation, sur le respect des valeurs qui fondent leur raison d’être et façonnent notre avenir. Le monde traverse une crise dont la croissance est l’une des causes et le développement la promesse. Enracinons cette promesse dans le terreau de nos cultures. C’est ainsi que l’on restaurera la confiance.
Les pays dominants et les entreprises dominantes dominent, c’est la nature des choses. La France, privée de souveraineté nationale et de souveraineté politique, sa Nation divisée et méprisée, est dominée.
Notre salut viendra d’une volonté de reconstruction, comme en 1945, qui pourra rassembler les Français et refonder les territoires,suivant les idées défendues, depuis des années par M Fromantin.