Ma tribune avec Philippe Levillain, membre de l’Académie des Sciences morales et politiques (pour le Forum de l’Universel) – publiée dans Figaro Vox
L’exceptionnelle crise sanitaire que nous traversons stipule d’aborder plusieurs questions fondamentales.
Une des questions parmi les plus aigües, au miroir de notre société, est celle de la sélection de ceux qui doivent être les mieux soignés. L’allongement de l’espérance de vie et le poids des plus âgés dans la structure démographique de nombreux pays lui donnent une acuité particulière. Elle pourrait être de plus en plus sensible compte-tenu des principes d’efficacité et de rentabilité qui régissent nos sociétés contemporaines. Alors que nos civilisations de traditions grecques et romaines ont sanctuarisé la famille et la sagesse des ainés, on assiste aujourd’hui à un désordre social qui privilégie les forces vives par rapport aux forces passées. Dans la vision chrétienne de la vie, en cas de maladie, la vie de l’enfant doit être privilégiée à celle de la mère. C’est la victoire de l’espoir dans la vie par rapport à celle du vivant usé. Par conséquent la question ne se pose pas forcément en termes de générations. Elle est à considérer par rapport au contexte dans lequel on vit et à l’idéal de société auquel on aspire. En 1912, ceux qui ont été sauvés dans le naufrage du Titanic – « les femmes et les enfants d’abord » – incarnaient ce choix celui d’une confiance forte et indéfectible dans l’avenir. La question qui surgit aujourd’hui est celle du sens de cette sélection dans un contexte politique aléatoire. « L’homme est un loup pour l’homme » rappelait Hobbes dans le Léviathan. Qu’est-ce que cela signifie aujourd’hui ? Sacrifier une génération par rapport à une autre n’est concevable – fut-ce dans un contexte d’urgence, de guerre ou de pandémie – qu’à l’aune de l’espoir que portent ceux qui seront sauvés. Là est sans doute une des questions les plus universelles qu’il faut affronter dans de telles circonstances. Notre défiance vis-à-vis des valeurs du passé et l’approche à court-terme de l’avenir créent un doute sur la meilleure option. Sacrifier une génération n’a de sens que pour sauver l’humanité, pour construire l’avenir ou pour répondre d’un projet politique plus fort que la crise qui nous décime. Ne pas aborder en face cette question reviendrait à subir les injonctions des plus puissants ou à céder à la fatalité. Et de s’en tenir alors à une réponse aussi simpliste que dépourvue de sens : A quel âge peut-on fixer le seuil d’utilité ?
Cette crise révèle aussi le primat donné à l’individu sur l’économie. Les décisions politiques, en Chine, en Europe ou aux Etats-Unis, sont heureusement prioritairement orientés vers la santé des personnes malades. Mais un autre enjeu nous attend, celui d’éviter de passer du primat de l’individu à l’individualisme au détriment des solidarités. Une crise comme celle que nous traversons constitue un test pour l’Humanité. Les tentations individualistes, nationalistes et toutes les formes d’égoïsme mettent à l’épreuve notre communauté humaine, sa solidité, son potentiel de réconciliation et l’attention mutuelle et bienveillante de ceux qui la composent.
Il faut aussi considérer la question de l’inégalité face à la santé. Nous ne pouvons rien au fait que nous sommes génétiquement différents face à la vie. En revanche notre environnement a une très grande influence sur les différences de notre capital santé et de nos chances de vie, voire de survie. Cette seconde différence est majeure et elle constitue le socle d’une question universelle qui se pose à nous : Quel projet de vie chacun d’entre nous peut-il espérer ? Car de nombreuses dérives en limitent le champ. La métropolisation, la pollution ou l’alimentation rapide résultent de choix – ou de non choix – politiques dont l’impact est très lourd sur notre santé. La crise actuelle met à nu à la fois notre capital santé, mais aussi notre politique de santé. Nous vivons les limites d’un modèle de société qui a cédé à la performance économique plutôt que de veiller à la préservation d’un bien commun universel. Or c’est à partir de ce bien commun que chacun d’entre nous puise les ressources dont il a besoin pour réaliser son projet de vie.
Cette crise révèle également les limites d’un système de santé dont les performances technologiques et scientifiques exceptionnelles sont démasquées cruellement par l’enjeu d’une médecine populaire et équitablement distribuée sur nos territoires. Nous sommes capables de transplanter des cœurs. Mais pas de fournir des masques ! C’est pour cette raison que la crise sanitaire conduit directement vers le sujet de la prévoyance. Quand plus d’un milliard d’individus à travers le monde est confiné à cause d’un virus, ce qui nous apparaissait hier comme évident, simple et bien rodé ne l’est plus. Prévoyance équivalait à sécurité. N’est-ce pas la prévoyance qui nous permettait de prévoir, de mutualiser nos moyens et d’offrir à tous la meilleure vie ? N’est-ce pas sa construction assurantielle qui nous rendait serein face à la maladie ? Face à cette question et dans le contexte que nous vivons, il est facile de comprendre que la prévoyance est mise à mal. Le coronavirus dépasse le sujet du paiement des soins. Il est impossible de chiffrer la prévoyance dans ce paradigme nouveau. Le coronavirus nous interpelle sur un enjeu plus vaste, celui d’un modèle dont les effets sont imprévisibles et incontrôlables sur notre santé.
La question se pose donc des bases à partir desquelles, forts de cette crise et des enseignements que nous saurons en tirer, nous avancerons vers un nouvel humanisme. Quand Mireille Delmas-Marty, membre de l’Institut, appelle à ce nouvel humanisme, elle mise sur la « boussole des possibles », régulée par des valeurs simples et universelles comme la fraternité, la solidarité, l’hospitalité ou la dignité. En juin 2009, le pape Benoit XVI, dans son encyclique sociale « Caritas in Veritate », rappellait que la gratuité sera le marqueur clé d’une humanité retrouvée. La crise actuelle fait exploser nos certitudes. Il nous appartient d’en faire une Espérance.
Le morale républicaine est bafouée par nos dirigeants politiques qui préfèrent la mise en accusation des Français à l’effacement que demande leur médiocrité; la morale catholique semble inconnue à Neuilly par ceux qui portent un masque sans attendre que tous les soignants et, pour notre ville les fonctionnaires de la police municipale et les employés de commerce en soient pourvus.
Après cette crise, de nouvelles élections législatives devraient manifester notre souveraineté populaire, et la volonté de développer notre économie nationale devrait l’emporter sur les gadgets écologiques ou européens. Dans le souvenir des sacrifices de nos parents pour la Reconstruction, des propositions nouvelles, comme celles de M Fromantin, devraient soutenir une volonté nouvelle et l’unité de la Nation.