Je me suis arrêté sur un rond-point de Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir) pour discuter avec des Gilets-jaunes. Je me présente à eux. Mon statut de « Maire de Neuilly » appelle un temps d’adaptation pour amorcer le dialogue mais au bout de quelques minutes nous échangeons avec franchise.
L’équipe de Gilets-jaunes présente sur ce rond-point (au bord de la D923, en face du Mac Do de Nogent-le-Rotrou) est sans doute assez représentative du mouvement : Des profils différents mais en commun un profond sentiment d’injustice et beaucoup de détermination. « Je gagne 1500 EUR avec 25 ans de boite » me lance un des Gilets-jaunes ; « On nous méprise » me dit un autre ; « Avec les grandes régions, il faut faire le double de kilomètres pour emmener mon fils faire du sport » me dit une mère de famille etc. Les phrases fusent : les propos vexatoires du Président de la République, la vaisselle de l’Elysée ou le salaire de Carlos Ghosn s’enchainent comme les marqueurs de cette distance entre deux France. Je parle de mon dernier livre, on me met sous les yeux celui des sociologues Pinçon-Charlot qui circule autour du rond-point – plus militants que chercheurs – sympathisants du Front de Gauche, ils dénoncent par des raccourcis une oligarchie au service des riches dont Emmanuel Macron serait un des promoteurs. Le dialogue est compliqué. J’essaie d’expliquer qu’il ne faut pas tomber, ni dans les caricatures, ni dans l’opprobre, que le constat des fractures est largement partagé et qu’ils ont eu le mérite de crever l’abcès : l’abandon des territoires, la désindustrialisation, l’affaiblissement des services publics, la verticalisation du pouvoir et bien entendu la paupérisation de classes moyennes qui deviennent la variable d’ajustement d’un « nouveau monde » sont autant de dérives incontestables. Les Gilets-jaunes incarnent indéniablement les fractures engendrées par des années d’immobilisme. C’est en cela qu’ils sont légitimes. Je défends auprès d’eux cette idée que le surpoids de l’Etat – par son impact sur les charges des entreprises comme sur celles des ménages – est une des causes du délitement auquel on assiste. Le débat s’engage. Certains d’entre eux accusent d’abord les multinationales, puis l’Europe, d’autres admettent que l’obésité de l’Etat a progressivement bloqué la France, tous ont le sentiment qu’on les a oublié, qu’ils sont méprisés et inutiles.
On fait une photo, je salue les nouveaux arrivants sur le rond-point et on reprend les échanges entrecoupés de brefs coups de klaxons en signe d’encouragement.
Au fil du dialogue je comprends qu’il y a trois types de revendication et par conséquent qu’il devra y avoir trois niveaux de réponses : celle qui relève du symbole et qu’aucune augmentation pécuniaire ne viendra satisfaire ; c’est une sorte de prérequis pour rétablir la confiance ; celle qui concerne le court terme,, voire l’urgence, dont je perçois combien les mesures récentes annoncées par le Président de la République n’ont pas vraiment convaincu, sans doute par leur imprécision ; et celles qui façonneront l’avenir pour bâtir un modèle de société qui redéploie une ambition dans tous les territoires plutôt qu’il ne la concentre dans quelques villes au détriment de ce que la France compte de plus singulier. Quand au « Grand débat national », il semble très loin de faire l’unanimité. Son appellation trahit déjà une verticalité qui en fait d’emblée un objet suspect ; comme si le fait d’être « grand » et « national » le mettait hors de portée. Je persiste à croire qu’on aurait gagné à démarrer le débat « d’en bas » plutôt que d’avoir dès le départ cette marque de fabrique gouvernementale.
« Nous ne sommes pas dans le même bateau, vous êtes le maire de Neuilly » me lance alors un des Gilets-jaunes, laissant entendre que je ne peux pas les comprendre, que notre conversation n’est qu’un pis-aller. « Si, nous sommes dans le même bateau – lui répondis-je – car, que vous le vouliez ou non, ce bateau c’est la France et nous devons, vous comme moi, vous avec moi, quoiqu’il arrive, le mener à bon port (…) Sortons de la lutte des classes, notre avenir ce n’est pas les riches contre les pauvres, ni les métropoles contre les territoires mais une prospérité harmonieuse qu’il faut réinventer dan un monde qui a profondément changé ». En les écoutant et en répondant, je mesure la nécessité de revisiter ensemble la signification du mot progrès et de faire en sorte que nous en ayons la même définition. Le progrès ne peut plus se laisser enfermer dans autant de silos, isolés les uns des autres : celui des bénéfices, celui du pouvoir d’achat, celui de l’environnement ou celui de l’innovation. Comme si chacun avait « son » progrès. Aucun « grand débat » ne prospérera sans que le « progrès » ne soit libéré des quiproquos dont il fait l’objet. En voulant faire de la France une « startup nation » je mesure – depuis le rond-point de Nogent-le-Rotrou, au bord de la D923 – combien le Président de la République, probablement sans le savoir, a alimenté ce quiproquo.
« Nous craignons le passage en force, me dit un autre, nous voulons nous en sortir … »
« Tout le monde doit en sortir – lui répondis-je – et par le haut »
Je sors de cette rencontre avec un double sentiment : de colère et d’espérance. De colère d’abord, car il aura fallu attendre cette crise des Gilets-jaunes pour s’intéresser aux territoires et à ceux qui y vivent, alors que nous aurions pu anticiper ces mutations. Une colère d’autant plus forte que le retard sera plus difficile à combler, que notre dette est importante et qu’elle diminue d’autant les capacités d’investissements dont nos territoires ont besoin. Mais il n’est pas trop tard, des solutions existent.
Je sors aussi de cet échange, paradoxalement, avec un profond sentiment d’espérance. Car l’interpellation des Gilets-jaunes peut être un point de départ. Ils sont les lanceurs d’alerte dont la France avait sans doute besoin pour définir un projet qui ait du sens. Ils peuvent être ceux qui nous font prendre conscience qu’une perspective n’est politique que si elle considère que chaque Homme est une chance plutôt qu’une charge. Ils posent une question qui ne relève pas de « cahiers de doléances » mais du destin universel que nous voulons sincèrement partager.
Le sentiment de colère est évident . Votre sentiment d’espoir me semble d’un optimisme démesuré . Car la colère a des motifs profonds et palpables : taxes ,impôts,désertification ,fin des services publics ( sans jamais une baisse d’impots correspondante ) , non indexation de l’inflation pour les retraites….et des motifs indéfendables qui mettraient à bas une démocratie représentative au profit d’une anarchie permanente dont jamais rien de bon n’est sorti . Et l’espoir aura du mal à survivre à ceux qui veulent destituer Macron ce dictateur élu il y a moins de deux ans ,autant ou plus de services publics sans impôts ,des référendums permanents sur telle ou telle mesure qui ne plait pas à un groupe de 7 personnes qui par leur action si bien relayée deviennent des Robin des Bois contre le tyran…
Etudiant depuis une dizaine d’années le détail des dispositifs fiscaux et sociaux de notre pays, dont la complexité est hallucinante, je constate qu’à chaque crise on en remet une couche. Le gonflement de la Prime d’activité en réponse à la colère des gilets jaunes est un petit bijou de technocratie, dont les « élites » ont le secret.
Libérons donc ce pays de tout ce magma réglementaire pour redonner à chacun la capacité de faire des choix rationnels plutôt qu’en slalomant entre les statuts et les contraintes.
Exemple ici : https://www.atlantico.fr/decryptage/3561559/les-deux-graphiques-pour-comprendre-pourquoi-le-revenu-universel-pourrait-permettre-de-sortir-de-la-crise-des-gilets-jaunes-marc-de-basquiat
Bonjour,
Dans un premier temps Changeons les mots par d’autres:
_ charge par cotisation
_ élite par élus
_ France d’en haut et d’en bas par le peuple
_ privilégier par partage
_ les oubliées és par Salariées és, Chômeurs, retraitées és, fonctionnaires, jeunesse
_ CAC 40 par création de la misère du peuple
dans un deuxième:
liberté par participation
Egalité par vivre dignement
Fraternité par ensemble
dans un deuxième temps:
_ réforme du marché du travail = précarité
_ réformes, réformes, vers quel avenir, hormis celui de la pauvreté?
_ la dette pur produit de spéculation et d’enrichissement pour certains et pour d’autres, l’esclavage
_ CICE, rendez notre argent
_ réduction de cotisation sur les bas salaires, encore un cadeau
pour finir, nous rendre responsable de tous les maux de notre France.
Rappelons une phrase de notre illustre et ami Coluche, » c’est une fois élu qu’il se prend pour le roi »!!!!.
oui certains politiques ne font pas le boulot correctement, à savoir, servir l’ensemble de la France et non une catégorie de nantis, préserver la richesse d’une oligarchie pesante et destructive, asservir les Salariées és
Le Peuple est-il une variable d’ajustement? une quantité négligeable?
Les écarts s’agrandissent et Mr Macron continu de creuser avec le concours du Médef, de l’europe qui est loin d’être une europe sociale
La pauvreté est bien réelle et ne peut se contenter d’un a peu près , de réformes en sa faveur, de réelle augmentation 100€ ???? etc…
Très bien, je vous cite, sortir par le haut!!!!!
Sortir par le haut c’est prendre conscience des injustices, est-ce le cas???
la solution nous l’avons, PARTAGE DES RICHESSES PAR CEUX QUI LA CREE.
Merci,
Sincèrement
Franck Bazile
Belle exemple de démagogie pour se moquer de ces malheureux : on ne change rien, on se contente de les enfumer avec des changements sémantiques.
Et vous vous étonnez ensuite qu’ils se montrent excédés…
Texte très touchant faisant preuve d’une volonté de rapprochement et de dialogue. Mais quelles propositions et quelles solutions proposées face à un constat plutôt bloquant qu’est celui d’une dette bien encombrante bouchant toute perspective ? Hélas, bien que je comprenne que votre fonction de Maire de Neuilly sur Seine vous en empêche, force est de constater que c’est bien l’oligarchie de la finance et du grand capital qui nous ont emmenés là et que l’UE est une cage dans laquelle nous nous sommes nous-mêmes enfermés et dont nous avons jeté la clé. Mais c’est l’intention qui compte, n’est-ce pas ? :-\
Je me demande comment vous gardez un sentiment d’espérance. Tout cela est très décourageant. Les revendications violentes arrivent dans une France et une Europe en déclin. Notre dette ne permet pas de relever notre pays et le niveau de vie de ses habitants. Et un ralentissement économique mondial pointe le nez alors que 5 années de Hollandisme ne nous ont pas permis de nous y préparer.