Jean-Christophe Fromantin est Maire de Neuilly et Conseiller Général des Hauts de Seine. Pour certains, il est un futur ministre. Il vient de terminer son second ouvrage « Le temps des territoires ».
Un ouvrage programmatique dans lequel il vante le renouveau d’une économie centrée sur la richesse de ses territoires. Entre réflexion et projet politique, Jean-Christophe Fromantin nous livre sa vision de la France de demain.
Nonfiction.fr : Le postulat de départ de votre ouvrage est le suivant : 83% des jeunes pensent que les politiques sont corrompus. C’est le vrai départ de votre réflexion ?
Jean-Christophe Fromantin : La confiance, c’est vraiment le pacte de base dans une population, dans une organisation, dans un pays. C’est ce qui est à la base de toutes les constructions, de toutes les perspectives de collaboration. C’est le liant entre tout le monde, et s’il n’y a plus ce lien, ce liant, toutes les réformes, tous les projets, toutes les évolutions, toutes les reconfigurations sont remises en cause. Le principe de la confiance est consubstantiel d’une perspective politique au sens étymologique du mot.
Nonfiction : Vous expliquez que vous n’appartenez pas à un système politique traditionnel. C’est crédible pour un maire de Neuilly de se positionner « hors système » ?
Jean-Christophe Fromantin : Vous avez deux niveaux, le local et le national.
Au niveau local, l’appartenance à un parti n’amène rien dans la manière dont on adresse les projets quotidiens d’une ville. Chaque ville est particulière, chaque ville a ses enjeux, ses projets, ses ressources, ses difficultés, ses atouts. Chacun à une éthique personnelle dans la manière de conduire un projet politique mais appartenir à un parti ne fournit pas des solutions toutes faites pour gérer un échelon local. En revanche, aller sur une perspective nationale avec un projet, des idées, du fond, exige qu’on s’amarre, qu’on s’adosse à une pensée politique. Si l’on se présente seul à une élection législative en étant simplement le représentant de son territoire, avec qui y aller, quelle contribution au débat national. Tout cela devient extrêmement compliqué.
C’est la raison pour laquelle j’ai mené ce travail de réflexion, dans la perspective des élections législatives avec deux livres édités en un an. Je voulais livrer mon analyse sur sur le débat national. Est-ce que finalement dans cette perspective j’ai besoin d’y aller ? Est-ce que cela a un sens ? Si cela a un sens, alors quels sont les projets des partis politiques ? J’ai regardé les projets, les inspirations et ne retrouvant pas d’éléments correspondants aux enjeux d’aujourd’hui pour le pays et pour les territoires, j’ai mené jusqu’au bout ma réflexion avec un premier livre conceptuel et un second plus programmatique en disant le sens de mon engagement aux législatives, ma contribution au débat.
Nonfiction.fr : Ce qui est frappant dans votre ouvrage, c’est votre posture. Vous adoptez une posture modeste, voire en attente d’approbation, de validation. C’est une stratégie ou il s’agit d’une approche naturelle ?
Jean-Christophe Fromantin : Je ne suis pas un économiste, un sociologue, un universitaire, un patron du CAC 40, je suis simplement moi avec les limites et les atouts de mon expérience avec une vrai liberté qui me permet d’approfondir ces notions, sans me poser trop la question sur ce qu’elles rapportent.
Je ne cherche pas à rendre ma posture modeste ou ambitieuse, je cherche à la rendre vraie. Quand vous voulez dire quelque chose de vrai, vous êtes clair aussi sur les limites : « attention, ce que je vais dire là n’est pas le fruit d’une science économique, d’une science sociale, n’est pas dix ans de travaux de recherche. C’est une conviction, liée à une expérience et liée à un travail d’approfondissement que j’ai fait ».
Ca me parait honnête de dire quelle est la source de mon inspiration : elle est professionnelle, elle est dans mon expérience d’élu, elle est dans mes convictions d’homme et dans cette conviction que les territoires sont l’espace de base dans lequel on doit réfléchir les problématiques économiques et sociales. Cette modestie telle que vous la ressentez elle est plutôt la traduction d’une vérité.
Nonfiction.fr : Vous vous positionnez en défenseur du territoire. En France le territoire est plutôt rural. Facile à représenter, la ruralité, lorsqu’on est maire de Neuilly ?
Jean-Christophe Fromantin : Ma démarche est quand même extrêmement inspirée par une expérience beaucoup plus des territoires de province que de Neuilly. J’ai passé toute ma jeunesse entre Nantes, Nevers, Châteauroux, Dunkerque, Strasbourg… ma vie a été fondée dans les tréfonds des territoires. Et puis pour une bonne part de ma vie professionnelle, j’ai travaillé pour le compte d’une grande banque mutualiste avec la mission de développer des projets d’exportations. Ce qui m’a permis de travailler avec des PME . J’ai eu une culture économique et une expérience professionnelle extrêmement ancrées dans la profondeur de notre territoire.
Nonfiction.fr : Vous abordez la question de la compétitivité. Vous dites : cela ne passe pas par les prix mais par notre avantage comparatif, qui est justement le territoire….
Jean-Christophe Fromantin : On doit construire notre compétitivité sur ce qu’on a et que les autres n’ont pas. C’est la richesse de nos patrimoines de connaissance, de culture, de savoir-faire, de paysage. C’est la richesse à partir de laquelle on crée des avantages comparatifs. Il faut partir de ces avantages comparatifs enracinés dans nos territoires et construire une perspective économique à partir de cela. Il faut utiliser toute l’économie de l’immatériel pour créer un effet de levier sur ce que l’on a de différenciant.
Le risque est que nous privilégiions l’innovation non différenciatrice. Si l’on fait de l’innovation non différenciatrice, nous serons toujours en retard sur les pays émergents qui peuvent aligner les moyens de recherche et de développement bien supérieurs. Notre économie doit être obsédée par cette idée de territorialité ; c’est-à-dire de ressourcement permanent dans les éléments différenciés qui sont ceux de notre patrimoine.
Il n’y a pas une économie pérenne à fort potentiel en France qui n’est pas une économie construite sur ce supra territorial culturel et patrimonial. Donc, je suis extrêmement sensible et préoccupé par ça, en disant que notre économie n’a d’avenir que si on l’inscrit dans les atouts comparatifs de nos territoires et de nos patrimoines.
Nonfiction.fr : Dans votre réflexion, on a plus l’impression que vous mettez en avant l’individu que le territoire. Vous dites : notre croissance vient des territoires : ils ont engendré l’intelligence créatrice, les savoir-faire artisanaux puis des projets industriels. On peut aussi considérer que c’est la volonté personnelle, la volonté d’entreprendre plus que le territoire ?
Jean-Christophe Fromantin : C’est une combinaison. L’individu qui entreprend des semi-conducteurs en arséniure de gallium. A un moment on peut se dire pourquoi il fait ce type de production au fin fond de la Lozère ou à tel et tel endroit, et on se dit : est-ce que finalement cette fabrication, cette innovation, qu’est-ce qu’elle a comme relation avec le territoire ? Si elle n’a aucune relation avec le territoire, le jour où le marché va se déplacer, l’industriel sur Taiwan, il va se dire mais pourquoi je l’ai fait là alors que je pourrais le faire de la même manière à Taiwan et en plus moins cher ?
Dans chaque développement d’entreprise quelle est la relation forte avec chaque territoire ? S’il n’y en a plus ou si elle est moins de moins justifié, on va avoir des entreprises qui se déterritorialisent, et ne vont plus avoir de lien avec le territoire. Notre économie sera volatile. Ma préoccupation est de dire : comment éviter cette économie volatile qui génère des délocalisations ? Le vrai risque n’est pas celui de la délocalisation mais de la déterritorialisation.
Nonfiction.fr : Vous abordez également la question de la gouvernance. Vous envisagez des régions de 6 à 10 millions d’habitants qui miseraient sur leur forte identité culturelle avec de grande métropole centralisatrice. C’est bien ça ?
Jean Christophe Fromantin : Je suis extrêmement attaché à l’idée des communes. Il faut garder un tissu communal extrêmement fort. Il faut peut-être fusionner quelques communes, il faut peut-être en rapprocher quelques-unes. Je ne suis pas un grand fan de l’intercommunalité car je pense qu’on crée une dimension supplémentaire, mais je dis qu’il y a une richesse sociale et un sentiment d’appartenance aux villes et aux villages qui est un marqueur extrêmement particulier et fort dans la culture et la société française.
En même temps, cette approche entre grande métropole et région, elle est aussi très pragmatique, c’est-à-dire qu’aujourd’hui notre combinaison compétitive se construira dans notre capacité à investir sur l’économie productive, l’économie manufacturière une couche d’immatériel qui lui donnera la force de sa compétitivité. Si vous faites un parfum, s’il n’est pas marqueté, travaillé, il aura la valeur intrinsèque du parfum. Si vous êtes en lien avec une métropole qui fabrique de l’immatériel, de la connexion avec le reste du monde, cette combinaison va être compétitive est créé une nouvelle base de parfum sur la base de votre savoir-faire enraciné dans le territoire grâce du sud de la France et puis une capacité immatérielle à Marseille ou à Nice, par exemple.
Sur la question des régions, je ne veux surtout pas donner un chiffre. Il y a un vrai travail de géographe, d’économiste, de sociologue pour déterminer sur la base d’une théorie comme ça, et pour l’approfondir.
Nonfiction.fr : D’un point de vue institutionnel, vous voulez faire du Sénat une assemblée des territoires. Paradoxalement, on pourrait croire que c’est une mesure difficile mais vous permettez au Sénat de revenir à ses fondamentaux : représenter les collectivités territoriales et les territoires ?
Jean-Christophe Fromantin : Avec les effets de la proportionnelle et du mode de scrutin, c’est devenu plutôt une chambre de reclassement des parlementaires. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, beaucoup de sénateurs en font plus de mandat exécutif qui provienne d’un territoire.
Lorsque je parle d’une « Assemblée des territoires », j’entends qu’elle soit composée des élus qui animent, qui gèrent, qui développent, qui imaginent l’avenir des territoires. C’est pour ça que je transforme le Sénat en assemblée des territoires, c’est-à-dire le lieu qui agrège les représentants des exécutifs territoriaux, les régions, les grandes métropoles, les villes, pour que finalement ces gens-là qui sont aux manettes dans les territoires soient aussi ceux qui auront la responsabilité des lois qui ont vocation à être exercées, mises en œuvre dans leur territoire. J’appelle à ce que ces exécutifs territoriaux aient une meilleure capacité à synchroniser toutes les politiques publiques qui concourent à la croissance et donc je dis le bicamérisme, construisons le sur un flux beaucoup plus logique.
L’Assemblée nationale serait focalisée sur les lois plutôt régaliennes .
Sur les lois opérationnelles, il serait plus logique qu’elles soient introduites dans le système parlementaire par ceux qui perçoivent toutes les difficultés, les besoins, les dysfonctionnements, puis qu’elles soient examinées par l’Assemblée nationale et tranchées, en dernière lecture, par cette assemblée des territoires.
Nonfiction.fr : Dernière question sur l’homme : mairie de Neuilly, Conseil général des Hauts-de-Seine, un premier ouvrage conceptuel, un second programmatique, le lancement de votre « club », candidat aux élections législatives. Vous nourrissez quelle ambition ?
Jean-Christophe Fromantin : Je travaille sur des idées, je porte des idées, j’essaye de les partager au maximum, si elles génèrent un élan et l’adhésion, je ne me donne aucune limite. Je ne rêve pas d’être ministre, je ne rêve pas d’être président. Par contre, j’ai une exigence et une conviction personnelle très forte qu’aujourd’hui, il y a un travail personnel de fond et la tournure que prend la campagne me conforte dans cette approche. La viande hallal, est-ce un sujet ? Peut-être. La pression fiscale sur tel ou tel ? Peut-être. Mais tout ça pour quoi ? Quel projet de reconfiguration ? Quand une entreprise rentre dans un nouveau champ concurrentiel, elle a un modèle économique à faire évoluer. Le sujet qui vient dans un premier temps c’est : Quel modèle ? Quelle réorganisation ? Quel avantage compétitif ? Quels moyens ?
Je n’ai aucun rêve de statut politique, aucune ambition mais aucune limite à ce qui sera nécessaire pour pousser ces idées.