La Terre ou le Globe ?

Par Jean-Christophe Fromantin, Délégué d’Anticipations, Chercheur associé Chaire ETI, IAE Paris-Sorbonne, Maire de Neuilly.

 

A l’heure de la sidération face au spectre de l’intelligence artificielle, le cycle Anticipations 2023 a été marqué par une mise en perspective de réalités très humaines – ce que Gregory Quenet appelle « le terrestre » en réponse à la notion de « globe » dont les dernières décennies ont marqué l’acuité -. En réponse aussi à l’essayiste Thomas Friedmann qui, dans son ouvrage de 2005 annonçait La terre est plate, une brève histoire du XXIe siècle, au motif d’une dilution des frontières et d’une uniformisation de nos modes de vie et de travail. Une approche dont le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz disait pourtant qu’elle représentait « ce que ce nouveau monde deviendra pour nous tous ». Or, depuis quelques années, des signaux faibles apparaissent laissant à penser que le monde n’est pas si plat ; que les populations n’aspirent pas tant à cette uniformisation ; et que la dégradation du climat est directement liée aux modes de vie et de consommation que l’aplatissement engendre. Sans remettre en cause les bienfaits pour le développement d’un système d’échange mondial plus fluide, bien au contraire ; la question se pose néanmoins de qui, du Globe que nous consommons ou de la Terre que nous habitons, ouvre la voie vers un monde meilleur ? C’est sans doute dans cette distinction que se pose avec autant de passion le sujet du sens, si présent dans nos débats.

 

Alors, la Terre ou le Globe ? Cette question fût au cœur des anticipations que nous avons étudiées lors du cycle 2023 : « Le terrestre est un fondement d’où on peut tirer la poétique de la terre » (Gregory Quenet, Anticipations 2023). Cette poésie, c’est la part de métaphysique et d’émerveillement nécessaires à notre équilibre ; ce que le sociologue allemand Hartmut Rosa appelle notre relation (authentique et nécessaire) au monde et à la nature. Les signaux faibles observés par les uns et les autres plaident dans ce sens. Ils ouvrent vers un paradigme plutôt inattendu à l’avantage du « terrestre » : Les échelles de proximité sont priorisées ; les circuits courts s’invitent en force dans les dynamiques économiques et financières ; les énergies renouvelables se territorialisent ; l’émergence des critères extra-financiers dans les évaluations économiques annoncent une prise de conscience de la prévalence des réalités humaines sur les approches performatives ; les études d’opinion expriment la préférence de nos contemporains pour les échelles humaines – majoritairement chez les moins de 35 ans – ; et la génération alpha, qui sera sur le marché de l’emploi en 2030, s’imagine plus libre que jamais. Si on ajoute que le temps de travail rémunéré diminue inexorablement jusqu’à passer – probablement au cours de la prochaine décennie – en deçà des 10% du temps de notre existence, nous pouvons légitimement nous interroger sur l’évolution de nos projets de vie et sur le sens que nous chercherons à leur donner : Plus enracinés, plus terrestres, plus humains. N’est-ce pas le retour de l’histoire et de la géographie dans nos sociétés ? L’innovation est intimement liée à ce mouvement vers la Terre. Car les facilités qu’ouvrent les technologies permettent de se libérer des injonctions verticales et centralisatrices pour autant que nous en fassions des moyens au bénéfice de nos projets de vie, plutôt qu’une fin au détriment de notre libre arbitre.

 

Au cours du cycle Anticipations 2023, l’économiste Christian de Boissieu témoignait de cette évolution en pointant la non-linéarité des modèles qui ébranle nos certitudes. Les crises que cela entraine, annoncent probablement l’obsolescence d’un cycle et l’émergence d’une acception plus authentique du monde. Revenir à l’échelle humaine, doit nous amener à mieux écouter les historiens, les géographes ou les sociologues, car si le globe est lisse, la terre, elle, nous entraine dans ses reliefs, ses aléas et ses saisons. Et c’est évidemment la Terre qui aura le dernier mot ….

Publié dans Les Echos le 5 juin 2023

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