Madame la ministre,
Depuis quelques jours vous exprimez votre volontarisme sur les logements sociaux. L’intention est louable.
Néanmoins vous le faites sous le ton de la menace. Présupposant que les niveaux de construction sont le fait d’un refus, d’une mauvaise volonté voire d’une immaturité des maires. Le ton presque scolaire que vous employez à notre égard est insupportable. Nous ne sommes pas vos élèves, nous sommes des élus responsables. Vous n’êtes pas notre professeure. Vous n’êtes pas là pour distribuer des notes, ni des punitions, mais pour faire appliquer la loi et engager le dialogue quand cela est nécessaire.
Pour quelques communes, comme la mienne, l’application de la loi SRU est particulièrement complexe. Plusieurs handicaps se cumulent comme la rareté du foncier disponible, le cout de l’immobilier, l’absence de renouvellement urbain ou la configuration des immeubles rendant très difficile l’atteinte des objectifs triennaux.
Ces difficultés s’imposent à nous autant qu’à vous, puisque l’Etat dispose depuis plusieurs années, du droit de préemption sur notre territoire communal sans que cela n’ait eu le moindre impact sur les objectifs de construction. Force est de constater que ce que le maire ne peut pas faire, le Préfet n’arrive pas à le faire non plus. Le transfert des permis de construire à l’Etat n’y changera rien. Le dogme se heurte au principe de réalité.
Dans un jugement rendu en juillet 2019, la Cour administrative d’appel de Versailles a pointé « l’erreur manifeste d’appréciation » de la part de l’Etat sur les objectifs assignés.
Vous noterez également qu’entre 50 et 70% des permis de construire sont délivrés à Neuilly pour construire des logements sociaux. Ce qui prouve, s’il en est besoin, que la carence n’est pas le fait d’un choix politique ainsi que vous l’insinuez.
Le plus surprenant dans la manière dont vous considérez les maires, est que vous semblez ignorer la responsabilité de l’Etat dans cette situation d’extrême tension. Depuis des années, en abandonnant toutes ambitions en matière d’aménagement du territoire, en sous-investissant dans les infrastructures publiques – alors que cette ambition faisait partie de la loi SRU -, vous avez généré les tensions dont vous nous demandez aujourd’hui de corriger les effets. Car les difficultés que nous connaissons sur le logement sont en grande partie la conséquence d’un développement asymétrique de la France. Alors que la grande majorité des Français aspirent à vivre dans des villes moyennes où l’accès au logement est facilité, je regrette l’absence d’initiatives qui encourageraient ce bon sens.
Enfin, dans le cas de Neuilly, j’ose vous rappeler que l’Etat est le premier propriétaire immobilier avec près de 1000 logements détenus par la Caisse des Dépôts et Consignations. Pour autant, alors que vous imposez à n’importe quel promoteur de faire 30% de logements sociaux, je constate que sur votre propre patrimoine vous n’avez conventionné, malgré mes demandes répétées depuis 12 ans, que 1,4% des logements ! L’Etat est décidemment mal placé pour donner des leçons.
Des pistes d’amélioration existent, d’autant plus importante à considérer à l’approche de l’échéance de la loi SRU en 2025 :
Le suivi des objectifs au niveau des intercommunalités en cohérence avec leur compétence d’urbanisme ; la mise en place d’un coefficient de potentiel foncier, afin d’adapter les objectifs aux réalités des villes ; un comptage des objectifs en fonction du nombre de pièces plutôt que de logements, afin de laisser la liberté aux élus de réaliser des logements dont la taille s’ajuste en fonction des besoins des populations ; l’évaluation des pénalités sur le flux et non sur le stock pour tenir compte des handicaps structurels des villes ; un durcissement des conditions de maintien dans les logements sociaux pour ceux qui dépassent les seuils d’éligibilité, afin de créer une meilleure rotation en zone tendue ; l’éligibilité des établissements médico-sociaux ; une véritable ambition en matière d’aménagement du territoire, d’équipements publics et d’amélioration des transports, en particulier entre les villes moyennes et les métropoles, afin d’offrir à chacun l’opportunité de vivre là où il aspire à vivre et d’éviter ainsi les phénomènes d’hyper concentration urbaine.
Vous comprendrez que je souhaite cette lettre ouverte pour me défendre de toutes les communications qui laisse à croire notre mauvaise volonté méritant votre « punition » : Une condamnation aussi injuste qu’infondée si l’on tient compte avec un minimum d’honnêteté des réalités locales.
J’espère échanger avec vous sur ces différents points dans le cadre d’un rendez-vous.
Je vous prie de croire, Madame la ministre, en l’expression de mes respectueuses salutations.
Jean-Christophe Fromantin
10 décembre 2020
Excellente réponse raisonnée au désordre irrationnel de l’impuissance politique qui prétend tout dominer ou dissoudre par des discours arrogants.
Cette lente corruption de nos traditions républicaines favorisera le triomphe des populistes.