L’ambition du maire divers droite de Neuilly-sur-Seine ? Mieux équiper les villes moyennes et mieux relier celles-ci aux métropoles.
Vous avez publié en 2018 un ouvrage intitulé « Travailler là où nous voulons vivre » (1). On a le sentiment que certains Français ont suivi votre conseil pendant le confinement…
Le Covid a en effet accéléré un processus qui était déjà en cours. Mon livre partait de l’observation de deux phénomènes. Le premier est le besoin d’enracinement que chacun d’entre nous éprouve. Lorsque l’être humain a le sentiment de vivre « hors sol » dans d’immenses villes anonymes, il ressent le besoin de se rapprocher de la nature.
Le second phénomène correspond à ce que j’appelle « l’obsolescence métropolitaine », qui revêt trois dimensions. La première est environnementale : les métropoles forment les ilots de chaleur. La deuxième est sociale : paradoxalement, la trop grande densité renvoie chacun à une forme d’isolement dramatique. La troisième est économique : la création de valeur et les échanges procèdent d’abord de la diversité culturelle, or, la métropolisation a tendance à générer des économies standardisées.
Du temps de la révolution industrielle, nous étions tenus de travailler là où étaient les usines, ce qui a conduit à l’exode rural. La technologie permet aujourd’hui de redistribuer les populations en dehors des métropoles. On peut se situer à 50 kilomètres de Paris, de Lyon ou de Toulouse tout en restant connecté à ses relations professionnelles. C’est un changement majeur qui nous permet de travailler là où nous voulons vivre, d’échapper à l’impasse métropolitaine tout en réalisant nos projets de vie.
La solution n’est-elle plutôt de réintroduire la nature en ville ?
Prétendre introduire la nature en ville est un oxymore ! La solution est inverse : elle consiste à permettre aux Français de vivre à la campagne ou dans des villes moyennes. D’abord, cela correspond aux souhaits de la grande majorité d’entre eux, et c’est désormais possible. Mieux : cela correspond à l’intérêt général car les villes moyennes structurent équitablement notre territoire.
Comment parvenir à cet objectif ?
Il est impératif de les doter d’une qualité de services équivalentes aux grandes agglomérations ce qui, reconnaissons-le, revient à faire l’inverse des politiques suivies ces dernières années, où l’on n’a cessé de fermer les tribunaux, les maternités et les trésoreries. Pour ma part, je propose d’organiser la France autour d’une armature de 350 villes moyennes et de 8 à 10 hubs métropolitains, en suivant deux règles simples : assurer tous les Français d’être à moins d’un quart d’heure d’une ville moyenne et toutes les villes moyennes à moins d’une heure et demie d’une métropole connectée au monde.
Le problème est qu’il n’y a pas de métropole au centre de la France !
Vous avez raison. C’est pourquoi il est impératif d’en constituer une à Clermont-Ferrand, en musclant son aéroport et son université, par exemple. Dans le même temps, il faut améliorer ses liaisons routières et ferroviaires avec les villes moyennes qui l’environnent : Guéret, Brive, Le Puy-en-Velay, Vichy, Montluçon, etc. De même qu’il faut améliorer toutes les liaisons entre les villes moyennes situées autour de Toulouse, Bordeaux, Nantes, Lyon, Marseille, etc.
Mais cela risque de coûter très cher…
Cela s’appelle l’aménagement du territoire et, croyez-moi, cela coûtera moins cher que de lutter contre le trafic de drogue dans les cités, perdre des heures dans des transports en commun, respirer un air pollué et se sentir perdu dans une agglomération où l’on ne connaît même pas ses voisins.
Par ailleurs, un tel signal aurait des effets de levier sur l’investissement privé. Car que se passe-t-il quand, dans une ville, des menaces pèsent sur l’avenir de l’hôpital, de la gare, du tribunal, du lycée ? Les entreprises renoncent à y lancer des projets et il en va de même pour les particuliers. J’ai discuté avec un gilet jaune sur un rond-point de Nogent-le-Rotrou. Il gagnait 1700 euros par mois, son épouse également. Il m’a expliqué que leurs revenus étaient suffisants pour acheter sur place la maison de leurs rêves, mais qu’ils ne le feraient pas car ils redoutaient qu’elle ne perde 15% de sa valeur chaque année. Si l’Etat affichait une réelle priorité en faveur des villes moyennes, l’investissement privé accompagnerait le mouvement.
Ce faisant, n’allez-vous pas affaiblir les métropoles dont les villes moyennes ont besoin ?
Une métropole se caractérise davantage par ses fonctions et ses interfaces avec le monde que par sa démographie. Les centres de décision, les universités ou les grands aéroports façonnent ces nouveaux hubs internationaux. Le grand Paris restera une métropole, pour autant qu’il soit au service des territoires qui l’entourent et assure ses fonctions de centralité.
Jean Castex est élu de Prades, dans les Pyrénées-Orientales. Son profil vous semble-t-il propice pour mener une telle politique ?
Sur le papier, oui. Encore faudrait-il qu’Emmanuel Macron change de perspective politique. J’en doute. Le modèle qui semble toujours inspirer le président est celui de la start-up nation, pour reprendre son expression. Il voit la mondialisation comme une vaste compétition entre des pays qui font tous la même chose et dans laquelle la France tirera son épingle du jeu si elle investit davantage que les autres dans quelques secteurs d’innovation. C’est une vision centrée sur l’uniformisation, qui menace directement la diversité de notre pays. Or, celle-ci est notre principal atout car elle est à la fois le socle de nos avantages compétitifs (les touristes viennent à Paris car cette ville ne ressemble à aucune autre) et un élément de fierté pour des Français. L’autre problème du président de la République réside dans une approche des technologies considérées comme une fin plutôt qu’un moyen. Or, leur finalité est de permettre aux Français de vivre là où ils le souhaitent, d’améliorer leur qualité de vie et de faire prospérer nos territoires. Il défend une France concentrée, je propose une France distribuée. Cette différence d’approche sera un enjeu central de l’échéance de 2022.
Recueilli par Michel Feltin-Palas
- Travailler là où nous voulons vivre, Vers une géographie du progrès, Éditions François Bourin, 2018.