La crise actuelle augure-t-elle le monde d’après ? J’en doute. Un paradigme ne se décrète pas. Il évolue à l’aune des aspirations, des valeurs et des interactions sociales. Autour d’un sujet central : celui de nos projets de vie. Avec nos envies, nos goûts, nos valeurs ou nos rêves. C’est LE sujet politique. Il a été oublié. Or, il est celui par lequel s’exerce la première liberté : celle de vivre là où nous voulons vivre. Et de bénéficier équitablement des services publics dont nous avons besoin. Loin des métropoles – malgré leurs promesses de smartitude, de résilience ou d’inclusion – dont des « experts » persistent à croire qu’elles seraient l’avenir de l’humanité. La crise actuelle comme celle des Gilets-jaunes, ne bouleverse pas le sens des attentes. Elle confirme leur acuité, voire leur urgence. Le monde de demain ne sera pas métropolitain.
Écoutons les Français plutôt que les spécialistes. Quand on les interroge sur le mode de vie auquel ils aspirent, 41% préfèrent vivre dans un village, 43% dans une ville moyenne et seulement 13% dans une métropole[1]. Depuis 5 ans, le solde migratoire de la région Ile de France est négatif[2]. Dans toutes les études sur « les villes préférées des Français », les petites unités urbaines arrivent en tête de classement. Dès 2019, dans son baromètre des territoires, l’Institut Montaigne rappelait l’enjeu : « redonner le pouvoir de choisir leur parcours de vie aux Français qui l’ont perdu, afin que chacun puisse réaliser son projet de vie sur le territoire qu’il souhaite »[3]. Seuls 19% des Français vivent là où ils ont envie de vivre. 2/3 des citadins voient dans les espaces ruraux des territoires d’avenir[4]. Récemment, dans son analyse sur la crise des Gilets-jaunes, le Conseil d’analyse économique soulignait les limites d’un modèle métropolitain rappelant « les effets négatifs de la concentration et l’émergence d’une géographie du mécontentement »[5].
Toutes ces références – on peut les multiplier – corroborent un triple phénomène : l’obsolescence du modèle métropolitain dont les dérives percutent le progrès ; une réconciliation avec la nature, et le bien-être comme déterminant ; l’arrivée de nouvelles technologies qui changent en profondeur notre relation avec la géographie.
La métropolisation participe d’un aplatissement du monde. Elle engendre une économie standardisée qui stimule les externalités négatives : une hypertrophie financière qui fait glisser l’économie dans un cycle dont la croissance devient la raison d’être ; un appauvrissement des cultures qui dépossède l’économie de ses avantages comparatifs ; la disqualification de nombreux savoir-faire qui privent les populations d’un accès à l’emploi. L’économie est indissociable de ce qu’elle permet à chacun de vivre dignement. Or, la métropolisation ignore la diversité des talents.
Sur le plan social, le fait métropolitain porte en germe l’isolement. Partout, le constat est le même. La densification produit plus d’individualisme que de confiance et de solidarité. Elle contraint l’espace vital au détriment de l’hospitalité. Les relations sociales s’artificialisent. Les mégabytes prennent alors le pas sur les mètres-carrés. La relation avec son smartphone devient exclusive. Le Pape François parle d’anthropocentrisme : « Quand l’être humain se met lui-même au centre, il finit par donner la priorité absolue à ses intérêts de circonstance, et tout le reste devient relatif »[6]. En laissant agir les algorithmes et leurs capacités prédictives, l’altérité s’appauvrit. Et la solitude, « nouvelle épidémie silencieuse », prospère[7].
Sur les plus ou moins-values « durables » le bilan est inquiétant. Les métropoles constituent des îlots de chaleur ; elles sont les premières responsables des émissions de gaz à effets de serre. Le réchauffement climatique accentue les besoins en climatisation et stimule l’inflation énergétique. Parce qu’elles engendrent une consommation standardisée, les métropoles accroissent une surexploitation des ressources naturelles, faisant fi des saisons et de l’équilibre des écosystèmes. En nous mettant hors-sol, elles font désirer la nature en ville, avec des déflagrations écologiques comme celle que nous traversons[8].
Le travail est au cœur de cette métamorphose. Il postule de ce que la valeur ajoutée ne réside pas seulement dans la métropolisation, ni dans l’innovation, mais dans le large spectre des connaissances et des territoires dès lors qu’ils permettent à chacun de prouver son utilité.
Dès 2018, dans mon essai « Travailler là où nous voulons vivre »[9] je dessinais les contours d’une organisation nouvelle. Des territoires au cœur desquels les productions enracinées retrouvent une actualité, par le double effet des circuits courts et de technologies qui ouvrent l’accès aux marchés mondiaux. Une réindustrialisation qui remet en cause les concentrations logistiques en passant d’un modèle de masse au sur-mesure. Des espaces de coworking au cœur d’un compromis entre le lieu de vie et le siège de l’entreprise. Un redéploiement des formations et de l’innovation pour féconder la diversité de notre géographie, avec des perspectives de rebond à la fois pour l’économie et pour l’emploi.
Permettre à chacun de travailler là où il souhaite vivre, c’est l’opportunité de lier son propre destin à celui de son pays. Par la distribution de la valeur plutôt que par sa concentration. Or, notre organisation, bâtie selon un centre et une périphérie, n’assure plus cet équilibre. Elle résiste à l’architecture en réseau qui structure le monde et à l’aspiration au bien-être des populations. Toutes les innovations vont progressivement nous libérer de la densification urbaine. Le travail, les loisirs, la santé, l’éducation ou la consommation s’affranchissent. Ils deviennent accessibles, dans les meilleures conditions, là où nous avons choisi de vivre.
Cette métamorphose appelle une transformation de notre organisation spatiale. Dans ce nouveau maillage, les villes moyennes vont devenir des échelles pivots entre les espaces ruraux et les métropoles. Ces dernières resteront des interfaces logistiques, des référentiels académiques, techniques ou politiques entre nos territoires et le reste du monde. L’aménagement du territoire se construira sur un double enjeu : rapprocher les Français des villes moyennes et les villes moyennes des métropoles. Le numérique sera l’outil d’aménagement de cette redistribution.
Les circuits de financement et d’investissements devront être relocalisés pour drainer l’épargne vers les entreprises et les infrastructures. A l’image de ce qu’ont été les bourses régionales, nos Régions animeront des boucles de financement pour mobiliser les ressources et assurer les investissements structurants nécessaires à cette ambition. Avec une moyenne de 20 à 30 milliards de constitution d’épargne annuelle, elles sont la bonne échelle.
La confiance dans nos institutions – indispensable à la revitalisation de notre projet politique – passera par un mouvement de subsidiarité. Dans la 11ème vague du Baromètre du Cevipof[10] les Français en désignent les acteurs-clés. Deux binômes seront au cœur de cette réorganisation : le pôle commune-intercommunalité pour les politiques de proximité, et le pôle métropole-région pour le développement. Une réallocation des compétences et de la fiscalité, mais aussi une politique contractuelle entre l’État et les Collectivités, permettront une optimisation de nos politiques publiques. Plus efficaces, plus proches et moins coûteuses.
Le hiatus entre l’espérance d’une vie plus équilibrée de la part des Français et le tropisme centralisateur des élites met le pays à fleur de peau. Il ressemble à celui par lequel on confond PIB/habitant et bien-être. Révélant avec cruauté la pauvreté d’une gestion comptable, technocratique, technologique, conjoncturelle ou émotionnelle, mais sans « politique ». Or, la confiance, ferment de l’action de l’action publique, n’existe que si elle permet à chacun de trouver sa place dans la société.
Reconnaitre les richesses de notre diversité, pour permettre à chacun de vivre là où il le souhaite, amorce la convergence entre nos aspirations individuelles et nos atouts géographiques. Cette double ambition en fait un projet de société.
Publié dans Marianne.net
[1] Enquête AMF-Cévipof 2019
[2] Baisse de la population de 0,5% par an entre 2012 et 2016, l’équivalent de 12000 habitants/an – Sources INSEE 2018
[3] « La France en Morceaux » – Etude Institut Montaigne et Elabe
[4] Etude INSEE 2018
[5] Territoires, bien-être et politiques publiques – Janvier 2020
[6] Laudato’si, sur la sauvegarde de la maison commune – Pape François – 2015
[7] Royal College of General Practitioners – Londres 2017
[8] « Mettre la nature en ville risque d’accélérer les déflagrations écologiques » Jean-Christophe Fromantin et Didier Sicard – Le Monde 8 avril 2020
[9] Essai « Travailler là où nous voulons vivre – vers une géographie du progrès » Ed. François Bourin
[10] 11ème Baromètre SciencesPo Cévipof sur la confiance politique
L’aménagement du territoire, suivant la vision généreuse et réaliste de Jean-Christophe Fromantin, n’est plus seulement menacé par le fanatisme bureaucratique et l’assoupissement politique; un nouveau monstre destructeur a séduit l’esprit routinier des media: le TELETRAVAIL.
Celui-ci était toujours vanté par le New York Times ou le Financial Times comme le jouet vertueux des élites. Il s’agit maintenant d’un télétravail qui découragerait tout développement des transports, tout urbanisme rationnel, et livrerait les marchés immobiliers au désordre.
L’abbé Jean Baptiste de Rauzun déclarait en chaire, contre la Charte -forme constitutionnelle modeste: « Toute constitution est un régicide » (1814). Nous avons un roi qui ne survit que par le viol permanent de notre Constitution. Le fondement prétendu de cette anarchie permanente doit disparaître de notre Droit, ou tout mouvement, tout élan sera étouffé par ce monde robotisé qui passe pour le progrès, concept bien dangereux.